Les
journaux relatent plusieurs histoires de professeurs qui ont été
recrutés sur leboncoin.fr. J'entendais récemment que l'éducation
est le sujet politique le plus difficile, parce que tout le monde se
sent concerné et compétent : nous avons tous été à l'école,
et tous les parents se sentent en plus concernés par la réussite de
leurs enfants. Du coup, chacun a une idée bien précise de ce qu'il
attend de l'école, des méthodes d'apprentissage (à bas la méthode
globale !), etc... D'où le retentissement (tout relatif en plein
bouclage du premier tour des présidentielles, certes) sur cette
affaire qui, dans d'autres secteurs, n'aurait pas inquiété
grand'monde (si un directeur de banque veut chercher un trader sur
leboncoin.fr, il fait bien ce qu'il veut)... La conclusion qui
ressortait de cette affaire est que si vraiment le rectorat n'était
pas en mesure de fournir des professeurs, il fallait alors passer par
le pôle emploi, et pas par le bon coin.
L'éducation
libre est un des points d'attention pointés par les évêques de France (voire l'un des points « non-négociables ») dont toute
la blogosphère catho parle plus ou moins en détail pendant la campagne présidentielle (là et là et là et là sans vouloir faire de la pub pour la concurrence), et
ce sujet de l'éducation mérite donc bien quelques pensées...
Auriez-vous acheté un prof sur leboncoin.fr pour donner des cours
dans votre collège ?
Le
proviseur doit pouvoir choisir ses enseignants
En
matière d'éducation, ce qui frappe en lisant le compendium de la
doctrine sociale de l'Eglise (j'ai oublié de vous dire qu'il est en ligne si vous n'avez pas le bouquin que vous pouvez vous
procurer par exemple ici) ;
ce qui frappe, donc, c'est que l'évocation du sujet de l'éducation
est quasiment toujours rattaché à une évocation de la famille.
L'Eglise nous dit que l'éducation est une responsabilité de la
famille « Les parents sont les premiers éducateurs de leurs
enfants » (#240 du Compendium) « mais pas les seuls »
ajoute le rédacteur. « Les parents ont le droit de choisir les
moyens qui peuvent les aider dans leur tâche d'éducateurs […].
Les autorités publiques ont le devoir de garantir ce droit et
d'assurer les conditions concrètes qui en permettent l'exercice. »
Soyons
honnêtes, le sujet principalement visé dans ce paragraphe, et dans
le principe non-négociable, est la possibilité d'une école libre,
la liberté de constituer un enseignement mettant en valeur le
message du Christ, etc. Néanmoins, cette exigence repose sur (et/ou
induit) le principe que l'éducation n'est pas quelque chose qui doit
être guidé de manière centralisée par un Etat inflexible, mais
que le principe de subsidiarité doit jouer son rôle, et donner, ou
rendre, un caractère « humain » à l'école qui doit
être proche de ses élèves, des projets éducatifs des parents (et
peut-être même des talents de ses profs) avant d'être proche du
canon dicté par le ministère. L'existence d'un baccalauréat
« commun », et même de programmes pour chaque classe,
n'est pas une remise en cause de ce principe de subsidiarité. Le bac
vient donner un élément de « validation des acquis »
qui permet d'afficher un certain niveau tandis que les programmes
permettent d'évaluer ce qu'un élève moyen est capable de
s'approprier pendant une année de cours, et sont de bons guides pour
les professeurs pour tirer le meilleur de leurs élèves sans en
faire trop. Un certain respect du programme est nécessaire pour que
les enfants qui déménagent puissent réintégrer simplement une
nouvelle école. Mais les méthodes d'enseignement doivent rester
libres, et des variations par rapport au programme ne sont pas
choquantes. Un enseignement religieux obligatoire en Alsace-Moselle,
l'enseignement de patois local dans certaines régions, le concept de
sport étude, ou des aménagement de cours pour suivre une formation
au cirque, des classes « européennes »… sont autant
d'adaptations qui montrent une adaptation du cadre réglementaire,
des exemples réussis, je pense, de subsidiarité, dont on a parfois
trop de mal à tirer le maximum (filières professionnelles
dévalorisées en France).
Si
les programmes peuvent souffrir de quelques adaptations, combien plus
le directeur d'un établissement scolaire est-il fondé, pour
construire le programme éducatif, à chercher à mobiliser les
compétences là où il les trouve pour atteindre son objectif !
L'adhésion des professeurs aux principes d'éducation élaborés par
le directeur en lien avec les familles est très importante, et n'est
pas forcément directement liée au statut d'agent permanent de
l'éducation nationale !
Il
ne me semble donc pas anormal que les proviseurs puissent explorer
toute solution pour recruter leurs équipes, à condition bien sûr
que ces conditions de recrutement permettent d'assurer la qualité de
l'enseignement, et qu'elles ne portent pas atteinte aux principes de
la DSE, et plus largement, à la dignité de l'homme. Le concours de
la fonction publique permet d'assurer une certaine qualité aux
enseignements, que ne permet pas forcément d'atteindre un
recrutement au pôle emploi ou sur leboncoin.fr. C'est pourquoi les
proviseurs passent préférentiellement par ce canal, et c'est
certainement souhaitable. Mais lorsqu'il ne fonctionne pas, il est
normal que d'autres solutions soient explorées... Par exemple pôle
emploi, ou leboncoin.fr...
Les
nouvelles technologies sont de beaux outils à subordonner au bien
commun
Les
nouvelles technologies sont regardées avec confiance par l'Eglise
qui voit en eux une merveilleuse concrétisation de la capacité de
l'homme à participer à la création encore aujourd'hui. Mais
l'Eglise constate que ces technologies ne sont pas toujours asservies
à la recherche du bien commun, et qu'elles ont parfois pour effet
d'accroître les inégalités, ou d'asservir les hommes.
« C'est
dans cette perspective qu'apparaît l'importance de la question
relative à la propriété et à l'usage des nouvelles technologies
et connaissances. [...] Ces ressources, comme tous les autres biens,
ont une destination
universelle; elles
aussi doivent être insérées dans un contexte de normes juridiques
et de règles sociales qui en garantissent un usage inspiré par des
critères de justice, d'équité et de respect des droits de
l'homme. » (283 du Compendium)
Il
faut donc se poser la question de l'équité de ce mode de
recrutement. L'accès à internet, aujourd'hui en France, n'est plus
vraiment un critère discriminant, encore moins pour les personnes
suffisamment éduquées pour pouvoir prétendre devenir enseignant.
Il est probablement moins discriminant (y compris socialement) que
les concours de la fonction publique. La capacité à utiliser un
site internet pour publier une annonce n'est pas très discriminante
non plus. Elle dénote plus un savoir faire qu'une capacité.
On
peut en revanche apprécier la capacité d'internet à diffuser une
information plus largement et permettre de mettre en relation des
hommes, en permettant aux proviseurs de trouver les compétences
qu'ils recherchent :
« Les
fidèles laïcs considéreront les médias comme de possibles et
puissants instruments de solidarité:
« La solidarité apparaît comme une conséquence d'une
communication vraie et juste, et de la libre circulation des idées,
qui favorisent la connaissance et le respect d'autrui ». (#561)
La
solidarité qui rejoint la subsidiarité, ça mérite d'être creusé.
L'excès dans l'une sans l'autre dégénère en « assistantialisme »,
l'excès dans l'autre sans l'une induit un « régionalisme
égoïste »(#351). La bonne circulation des informations permet
(dans le cas étudié ici) aux proviseurs de trouver les compétences
qui correspondent le mieux à leur projet éducatif (subsidiarité).
Elle permet aussi que les compétences du chercheur d'emploi trouvent
à s'épanouir plus pleinement au service de ce projet par rapport à
d'autres projets moins adaptés pour cette personne (solidarité :
les proviseurs laissent aller la compétence à l'endroit où elle
est le mieux utilisée). Ceux qui connaissent le principe de la longue traîne verront vite de quoi on parle (sur internet, un "produit" plus spécialisé et moins demandé peut se faire trouver par les acheteurs alors qu'il ne se vendrait pas en librairie car trop rares sont les acheteurs dans une seule ville... de la même manière, un prof un peu original pourra se faire trouver sur internet par un proviseur qui a un projet "pareillement original")
Alors
pourquoi demander que le proviseur passe par le pôle emploi ?
Pour avoir une aide au recrutement pour le proviseur qui n'est pas un
professionnel du recrutement ? Peut-être pour avoir accès à
une base de données plus large de demandeurs, et donc de compétences
à solliciter ? Mais ceci me semble plus relever du « conseil »
que d'une obligation (même morale) pour le proviseur.
* * *
En
conclusion, je ne serai pas aussi prompt à jeter la pierre aux
proviseurs qui ont cherché à mobiliser les compétences qui leur
manquaient là où ils ont pu les trouver, et qui ont sans aucun
doute fait passer un entretien aux postulants pour s'assurer qu'ils
étaient en capacité d'enseigner de manière satisfaisante ! Au
travail, nous pouvons donc réfléchir aux procédures parfois
rigides de recrutement et de promotion qui nous entourent et nous
demander ce que nous pouvons faire pour les utiliser au service du
bien commun, ou pour les modifier, en agissant pour chercher la
meilleure correspondance entre des missions et des compétences des
personnes qui vont avoir à les remplir !
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