mercredi 25 avril 2012

Est-il normal de chercher des profs sur leboncoin.fr ?


    Les journaux relatent plusieurs histoires de professeurs qui ont été recrutés sur leboncoin.fr. J'entendais récemment que l'éducation est le sujet politique le plus difficile, parce que tout le monde se sent concerné et compétent : nous avons tous été à l'école, et tous les parents se sentent en plus concernés par la réussite de leurs enfants. Du coup, chacun a une idée bien précise de ce qu'il attend de l'école, des méthodes d'apprentissage (à bas la méthode globale !), etc... D'où le retentissement (tout relatif en plein bouclage du premier tour des présidentielles, certes) sur cette affaire qui, dans d'autres secteurs, n'aurait pas inquiété grand'monde (si un directeur de banque veut chercher un trader sur leboncoin.fr, il fait bien ce qu'il veut)... La conclusion qui ressortait de cette affaire est que si vraiment le rectorat n'était pas en mesure de fournir des professeurs, il fallait alors passer par le pôle emploi, et pas par le bon coin.
   L'éducation libre est un des points d'attention pointés par les évêques de France (voire l'un des points « non-négociables ») dont toute la blogosphère catho parle plus ou moins en détail pendant la campagne présidentielle ( et  et  et sans vouloir faire de la pub pour la concurrence), et ce sujet de l'éducation mérite donc bien quelques pensées... Auriez-vous acheté un prof sur leboncoin.fr pour donner des cours dans votre collège ?



Le proviseur doit pouvoir choisir ses enseignants
   En matière d'éducation, ce qui frappe en lisant le compendium de la doctrine sociale de l'Eglise (j'ai oublié de vous dire qu'il est en ligne si vous n'avez pas le bouquin que vous pouvez vous procurer par exemple ici) ; ce qui frappe, donc, c'est que l'évocation du sujet de l'éducation est quasiment toujours rattaché à une évocation de la famille. L'Eglise nous dit que l'éducation est une responsabilité de la famille « Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants » (#240 du Compendium) « mais pas les seuls » ajoute le rédacteur. « Les parents ont le droit de choisir les moyens qui peuvent les aider dans leur tâche d'éducateurs […]. Les autorités publiques ont le devoir de garantir ce droit et d'assurer les conditions concrètes qui en permettent l'exercice. »
  Soyons honnêtes, le sujet principalement visé dans ce paragraphe, et dans le principe non-négociable, est la possibilité d'une école libre, la liberté de constituer un enseignement mettant en valeur le message du Christ, etc. Néanmoins, cette exigence repose sur (et/ou induit) le principe que l'éducation n'est pas quelque chose qui doit être guidé de manière centralisée par un Etat inflexible, mais que le principe de subsidiarité doit jouer son rôle, et donner, ou rendre, un caractère « humain » à l'école qui doit être proche de ses élèves, des projets éducatifs des parents (et peut-être même des talents de ses profs) avant d'être proche du canon dicté par le ministère. L'existence d'un baccalauréat « commun », et même de programmes pour chaque classe, n'est pas une remise en cause de ce principe de subsidiarité. Le bac vient donner un élément de « validation des acquis » qui permet d'afficher un certain niveau tandis que les programmes permettent d'évaluer ce qu'un élève moyen est capable de s'approprier pendant une année de cours, et sont de bons guides pour les professeurs pour tirer le meilleur de leurs élèves sans en faire trop. Un certain respect du programme est nécessaire pour que les enfants qui déménagent puissent réintégrer simplement une nouvelle école. Mais les méthodes d'enseignement doivent rester libres, et des variations par rapport au programme ne sont pas choquantes. Un enseignement religieux obligatoire en Alsace-Moselle, l'enseignement de patois local dans certaines régions, le concept de sport étude, ou des aménagement de cours pour suivre une formation au cirque, des classes « européennes »… sont autant d'adaptations qui montrent une adaptation du cadre réglementaire, des exemples réussis, je pense, de subsidiarité, dont on a parfois trop de mal à tirer le maximum (filières professionnelles dévalorisées en France).
   Si les programmes peuvent souffrir de quelques adaptations, combien plus le directeur d'un établissement scolaire est-il fondé, pour construire le programme éducatif, à chercher à mobiliser les compétences là où il les trouve pour atteindre son objectif ! L'adhésion des professeurs aux principes d'éducation élaborés par le directeur en lien avec les familles est très importante, et n'est pas forcément directement liée au statut d'agent permanent de l'éducation nationale !
     Il ne me semble donc pas anormal que les proviseurs puissent explorer toute solution pour recruter leurs équipes, à condition bien sûr que ces conditions de recrutement permettent d'assurer la qualité de l'enseignement, et qu'elles ne portent pas atteinte aux principes de la DSE, et plus largement, à la dignité de l'homme. Le concours de la fonction publique permet d'assurer une certaine qualité aux enseignements, que ne permet pas forcément d'atteindre un recrutement au pôle emploi ou sur leboncoin.fr. C'est pourquoi les proviseurs passent préférentiellement par ce canal, et c'est certainement souhaitable. Mais lorsqu'il ne fonctionne pas, il est normal que d'autres solutions soient explorées... Par exemple pôle emploi, ou leboncoin.fr...

Les nouvelles technologies sont de beaux outils à subordonner au bien commun
    Les nouvelles technologies sont regardées avec confiance par l'Eglise qui voit en eux une merveilleuse concrétisation de la capacité de l'homme à participer à la création encore aujourd'hui. Mais l'Eglise constate que ces technologies ne sont pas toujours asservies à la recherche du bien commun, et qu'elles ont parfois pour effet d'accroître les inégalités, ou d'asservir les hommes.
    « C'est dans cette perspective qu'apparaît l'importance de la question relative à la propriété et à l'usage des nouvelles technologies et connaissances. [...] Ces ressources, comme tous les autres biens, ont une destination universelle; elles aussi doivent être insérées dans un contexte de normes juridiques et de règles sociales qui en garantissent un usage inspiré par des critères de justice, d'équité et de respect des droits de l'homme. » (283 du Compendium)
    Il faut donc se poser la question de l'équité de ce mode de recrutement. L'accès à internet, aujourd'hui en France, n'est plus vraiment un critère discriminant, encore moins pour les personnes suffisamment éduquées pour pouvoir prétendre devenir enseignant. Il est probablement moins discriminant (y compris socialement) que les concours de la fonction publique. La capacité à utiliser un site internet pour publier une annonce n'est pas très discriminante non plus. Elle dénote plus un savoir faire qu'une capacité.
On peut en revanche apprécier la capacité d'internet à diffuser une information plus largement et permettre de mettre en relation des hommes, en permettant aux proviseurs de trouver les compétences qu'ils recherchent :
    « Les fidèles laïcs considéreront les médias comme de possibles et puissants instruments de solidarité: « La solidarité apparaît comme une conséquence d'une communication vraie et juste, et de la libre circulation des idées, qui favorisent la connaissance et le respect d'autrui ». (#561)
 La solidarité qui rejoint la subsidiarité, ça mérite d'être creusé. L'excès dans l'une sans l'autre dégénère en « assistantialisme », l'excès dans l'autre sans l'une induit un « régionalisme égoïste »(#351). La bonne circulation des informations permet (dans le cas étudié ici) aux proviseurs de trouver les compétences qui correspondent le mieux à leur projet éducatif (subsidiarité). Elle permet aussi que les compétences du chercheur d'emploi trouvent à s'épanouir plus pleinement au service de ce projet par rapport à d'autres projets moins adaptés pour cette personne (solidarité : les proviseurs laissent aller la compétence à l'endroit où elle est le mieux utilisée). Ceux qui connaissent le principe de la longue traîne verront vite de quoi on parle (sur internet, un "produit" plus spécialisé et moins demandé peut se faire trouver par les acheteurs alors qu'il ne se vendrait pas en librairie car trop rares sont les acheteurs dans une seule ville... de la même manière, un prof un peu original pourra se faire trouver sur internet par un proviseur qui a un projet "pareillement original")
   Alors pourquoi demander que le proviseur passe par le pôle emploi ? Pour avoir une aide au recrutement pour le proviseur qui n'est pas un professionnel du recrutement ? Peut-être pour avoir accès à une base de données plus large de demandeurs, et donc de compétences à solliciter ? Mais ceci me semble plus relever du « conseil » que d'une obligation (même morale) pour le proviseur.


*   *   *
    En conclusion, je ne serai pas aussi prompt à jeter la pierre aux proviseurs qui ont cherché à mobiliser les compétences qui leur manquaient là où ils ont pu les trouver, et qui ont sans aucun doute fait passer un entretien aux postulants pour s'assurer qu'ils étaient en capacité d'enseigner de manière satisfaisante ! Au travail, nous pouvons donc réfléchir aux procédures parfois rigides de recrutement et de promotion qui nous entourent et nous demander ce que nous pouvons faire pour les utiliser au service du bien commun, ou pour les modifier, en agissant pour chercher la meilleure correspondance entre des missions et des compétences des personnes qui vont avoir à les remplir !

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