Hier,
un ancien ingénieur de PIP a été cité comme témoin à la barre
du tribunal correctionnel de Marseille dans l'affaire des prothèses
mammaires non conformes. Il raconte comment il savait que le gel
était non conforme, comment il ignorait sa nocivité, comment rongé
par le remords il a demandé à démissionner, comment il a alors
obtenu une promotion, comment il a demandé à nouveau à
démissionner, comment il a finalement démissionné pour de bon. Il
raconte surtout son cas de conscience. Dénoncer ou ne pas dénoncer ?
Que deviendrait la boîte et ses 100 employés. Et leurs 100
familles ?
Bien
sûr, pas de checklist qui puisse nous dire comment sortir d'un
dilemme à tous les coups, ce serait trop facile. Mais ne baissons
pas les bras, la DSE nous donne des clés. Faut-il dénoncer notre
employeur à la moindre incartade ?
* * *
Responsabilité
lourde
Tout
d'abord, on peut constater que l'Eglise met clairement la
responsabilité sur le dos des individus. La conscience n'est pas
tout l'homme, mais c'est la personne qui « est à la base des
actes d'intelligence, de conscience et de liberté » (#131 du
compendium). Et ce qui nous échoit est une responsabilité entière
et exigente.
Entière
On ne
peut pas se retrancher derrière une organisation, l'entreprise,
l'Etat, la société, pour mettre en veilleuse sa conscience
personnelle. « C'est aux personnes que revient le développement
des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se
veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité,
etc...) qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres
ou déléguée aux institutions. [Il revient en particulier à ceux
qui exercent des responsabilités professionnelles à l'égard des
autres d'être la conscience vigilante de la société] » (#134
du compendium. Le #163 parle aussi de « coresponsabilité avec
tous et à l'égard de tous »)
Exigente
La
conscience doit faire abstraction de l'intérêt propre de celui qui
l'exerce : « Il revient à la conscience individuelle […
d'établir que] le profit individuel de l'agent économique, bien que
légitime, ne doit jamais devenir l'unique objectif. A côté de
celui-ci, il en existe un autre, tout aussi fondamental et supérieur,
celui de l'utilité sociale, qui doit être réalisé non pas en
opposition, mais en cohérence avec la logique du marché. »
Faute de bien comprendre ça, il y a un risque que l'activité
économique « dégénère en une institution inhumaine et
aliénante, avec des répercussions incontrôlables. ». Le
dossier PIP est un triste exemple de ce que lorsqu'on perd le sens de
l'activité économique qui est de poursuivre le bien commun par la
fourniture de biens et services, tout peut dégénérer. Ce dossier
est donc le signe qu'on doit traiter les signes de cette « perte
de Nord magnétique » le plus tôt possible.
La conscience ne s'éteint pas quand
on va travailler
L'exercice de la conscience ne s'arrête
pas quand on franchit la porte du boulot... Au contraire, les
employeurs et la loi doivent encourager cet exercice au travail :
« Le magistère a voulu mentionner quelques droits des
travailleurs en souhaitant leur reconnaissance dans les
ordonnancements juridiques : le droit à une juste rémunération,
le droit au repos, [...le droit à des méthodes de travail] qui ne
blessent pas leur intégrité morale, le droit que soit sauvegardée
sa personnalité sur le lieu de travail sans être violenté en
aucune manière dans sa conscience ou dans sa dignité » (#301)
Au-delà de ce « droit »,
des aides doivent être mises en place pour éduquer cette conscience
au travail. Et c'est le rôle des syndicats : « C'est au
syndicat que revient l'éducation de la conscience sociale des
travailleurs afin qu'ils se sentent partie active, selon les
capacités et aptitudes de chacun, dans la construction du bien
commun universel » (#307)
Si on oublie que « faire grandir
l'homme qui travaille », avant de « produire quelque
chose » est le but premier du travail, « le travail perd
sa signification la plus vraie et la plus profonde : dans ce
cas, hélas fréquent et diffus, le travail […] se transforme en
ennemi de sa dignité.
Au-delà d'un simple droit, un
devoir
Alors on comprend bien que l'exercice
de la conscience, plus qu'un droit, est un devoir. Et il commence dès
la première incartade. « Lorsqu'ils sont appelés à
collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l'obligation
de s'y refuser. […] Cette collaboration[, même formelle,] ne peut
jamais être justifiée, ni en invoquant le respect de la liberté
d'autrui, ni en prétextant que la loi civile la prévoit et la
requiert. Personne ne peut jamais se soustraire à la responsabilité
morale des actes accomplis et sur cette responsabilité chacun sera
jugé par Dieu lui-même » (#399)
Au-delà d'un simple devoir, cette
conscience prépare la grandeur de l'homme. « L'évangile
annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout
esclavage qui en fin de compte provient du pêché, respecte
scrupuleusement la dignité de la confiance et son libre choix »
(#576). La conscience se manifeste alors par des actes de
''jugement'' qui reflètent la vérité sur le bien. Le degré de
maturité de l'homme se mesure par une pressante recherche de la
vérité et, dans l'action, par la remise de soi à la conduite de
cette conscience ». (#139) Bref, et c'est là qu'on comprend
que la conscience n'est pas tout l'homme. C'est bien de faire la
différence entre le bien et le mal. Mais le chrétien choisit le
bien.
* * *
Suite aux scandales PIP et Médiator,
une loi est passée sur les « lanceurs d'alerte », visant
à protéger les lanceurs d'alerte contre toute sanction pénale ou
disciplinaire, et à fiabiliser et tracer le traitement des
« alertes » que l'administration reçoit régulièrement,
justifiées ou non. Cette protection va dans le bon sens en ce
qu'elle facilite l'exercice de la conscience en diminuant les risques
pris par le lanceur d'alerte. Le risque d'abus existe très
clairement, et ce droit nouvellement créé doit être perçu par
ceux qui en profiteront comme attaché au devoir de ne lancer que des
alertes justifiées, en évitant les règlements de compte ou autre blocage égoïste de projets. L'administration devra veiller à
garder le sens de cette réforme : encourager les consciences à
s'exprimer dans le sens du bien commun.
Petit exercice pour ce soir :
trouver une collaboration que je fais (même formelle, même par
absence d'action) à des actions moralement mauvaises... et trouver
comment en sortir.