jeudi 25 avril 2013

Faut-il protéger les lanceurs d'alerte ?


Hier, un ancien ingénieur de PIP a été cité comme témoin à la barre du tribunal correctionnel de Marseille dans l'affaire des prothèses mammaires non conformes. Il raconte comment il savait que le gel était non conforme, comment il ignorait sa nocivité, comment rongé par le remords il a demandé à démissionner, comment il a alors obtenu une promotion, comment il a demandé à nouveau à démissionner, comment il a finalement démissionné pour de bon. Il raconte surtout son cas de conscience. Dénoncer ou ne pas dénoncer ? Que deviendrait la boîte et ses 100 employés. Et leurs 100 familles ?

Bien sûr, pas de checklist qui puisse nous dire comment sortir d'un dilemme à tous les coups, ce serait trop facile. Mais ne baissons pas les bras, la DSE nous donne des clés. Faut-il dénoncer notre employeur à la moindre incartade ?

*   *   *

Responsabilité lourde
Tout d'abord, on peut constater que l'Eglise met clairement la responsabilité sur le dos des individus. La conscience n'est pas tout l'homme, mais c'est la personne qui « est à la base des actes d'intelligence, de conscience et de liberté » (#131 du compendium). Et ce qui nous échoit est une responsabilité entière et exigente.
Entière
On ne peut pas se retrancher derrière une organisation, l'entreprise, l'Etat, la société, pour mettre en veilleuse sa conscience personnelle. « C'est aux personnes que revient le développement des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité, etc...) qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres ou déléguée aux institutions. [Il revient en particulier à ceux qui exercent des responsabilités professionnelles à l'égard des autres d'être la conscience vigilante de la société] » (#134 du compendium. Le #163 parle aussi de « coresponsabilité avec tous et à l'égard de tous »)
Exigente
La conscience doit faire abstraction de l'intérêt propre de celui qui l'exerce : « Il revient à la conscience individuelle [… d'établir que] le profit individuel de l'agent économique, bien que légitime, ne doit jamais devenir l'unique objectif. A côté de celui-ci, il en existe un autre, tout aussi fondamental et supérieur, celui de l'utilité sociale, qui doit être réalisé non pas en opposition, mais en cohérence avec la logique du marché. » Faute de bien comprendre ça, il y a un risque que l'activité économique « dégénère en une institution inhumaine et aliénante, avec des répercussions incontrôlables. ». Le dossier PIP est un triste exemple de ce que lorsqu'on perd le sens de l'activité économique qui est de poursuivre le bien commun par la fourniture de biens et services, tout peut dégénérer. Ce dossier est donc le signe qu'on doit traiter les signes de cette « perte de Nord magnétique » le plus tôt possible.

La conscience ne s'éteint pas quand on va travailler
L'exercice de la conscience ne s'arrête pas quand on franchit la porte du boulot... Au contraire, les employeurs et la loi doivent encourager cet exercice au travail : « Le magistère a voulu mentionner quelques droits des travailleurs en souhaitant leur reconnaissance dans les ordonnancements juridiques : le droit à une juste rémunération, le droit au repos, [...le droit à des méthodes de travail] qui ne blessent pas leur intégrité morale, le droit que soit sauvegardée sa personnalité sur le lieu de travail sans être violenté en aucune manière dans sa conscience ou dans sa dignité » (#301)
Au-delà de ce « droit », des aides doivent être mises en place pour éduquer cette conscience au travail. Et c'est le rôle des syndicats : « C'est au syndicat que revient l'éducation de la conscience sociale des travailleurs afin qu'ils se sentent partie active, selon les capacités et aptitudes de chacun, dans la construction du bien commun universel » (#307)
Si on oublie que « faire grandir l'homme qui travaille », avant de « produire quelque chose » est le but premier du travail, « le travail perd sa signification la plus vraie et la plus profonde : dans ce cas, hélas fréquent et diffus, le travail […] se transforme en ennemi de sa dignité.

Au-delà d'un simple droit, un devoir
Alors on comprend bien que l'exercice de la conscience, plus qu'un droit, est un devoir. Et il commence dès la première incartade. « Lorsqu'ils sont appelés à collaborer à des actions moralement mauvaises, ils ont l'obligation de s'y refuser. […] Cette collaboration[, même formelle,] ne peut jamais être justifiée, ni en invoquant le respect de la liberté d'autrui, ni en prétextant que la loi civile la prévoit et la requiert. Personne ne peut jamais se soustraire à la responsabilité morale des actes accomplis et sur cette responsabilité chacun sera jugé par Dieu lui-même » (#399)
Au-delà d'un simple devoir, cette conscience prépare la grandeur de l'homme. « L'évangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui en fin de compte provient du pêché, respecte scrupuleusement la dignité de la confiance et son libre choix » (#576). La conscience se manifeste alors par des actes de ''jugement'' qui reflètent la vérité sur le bien. Le degré de maturité de l'homme se mesure par une pressante recherche de la vérité et, dans l'action, par la remise de soi à la conduite de cette conscience ». (#139) Bref, et c'est là qu'on comprend que la conscience n'est pas tout l'homme. C'est bien de faire la différence entre le bien et le mal. Mais le chrétien choisit le bien.

*   *   *



Suite aux scandales PIP et Médiator, une loi est passée sur les « lanceurs d'alerte », visant à protéger les lanceurs d'alerte contre toute sanction pénale ou disciplinaire, et à fiabiliser et tracer le traitement des « alertes » que l'administration reçoit régulièrement, justifiées ou non. Cette protection va dans le bon sens en ce qu'elle facilite l'exercice de la conscience en diminuant les risques pris par le lanceur d'alerte. Le risque d'abus existe très clairement, et ce droit nouvellement créé doit être perçu par ceux qui en profiteront comme attaché au devoir de ne lancer que des alertes justifiées, en évitant les règlements de compte ou autre blocage égoïste de projets. L'administration devra veiller à garder le sens de cette réforme : encourager les consciences à s'exprimer dans le sens du bien commun.
Petit exercice pour ce soir : trouver une collaboration que je fais (même formelle, même par absence d'action) à des actions moralement mauvaises... et trouver comment en sortir.


mardi 16 avril 2013

Publier le patrimoine des ministres suffit-il à moraliser la vie politique ?


Hier, suite à l'affaire du compte suisse de M. Cahuzac, les ministres du gouvernement Ayrault ont vu leur patrimoine publié sur le site internet du gouvernement. Certains ont profité de l'occasion pour faire de la comm'. Ainsi, Christiane Taubira a-t-elle insisté sur le fait qu'elle possédait 3 vélos, avec le but probablement de montrer sa simplicité et sa proximité au peuple français. Je laisse à d'autres les commentaires sur l'étonnante faiblesse de certains patrimoines ou sur l'impressionnant montant de certains autres et leur compatibilité ou non avec un engagement au sein du parti socialiste. On peut en revanche s'intéresser au principe même d'une déclaration de patrimoine. Est-il normal de demander aux ministres de dévoiler leurs patrimoines pour prouver leur moralité ? Est-ce que ça suffit ?


Les hommes politiques doivent être de bons gestionnaires de biens
Le magistère ne mâche pas ses mots : « L'amour pour les pauvres est certainement incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste » (#184). S'approprier des richesses en se soustrayant à l'impôt, c'est oublier qu'on n'est que gestionnaire de nos richesses, et c'est se couper de l'amour des plus démunis.
Ceci étant dit, le message de l'Eglise porte plus d'attention à la manière dont on utilise les biens qu'à leur montant... On attend d'ailleurs surtout des hommes politiques quand on vote pour eux qu'ils soient de bons gestionnaires. Il n'est donc pas forcément gênant qu'ils aient de grandes propriétés, une grande richesse pouvant (hors cas d'argent mal acquis) être le signe d'une capacité à créer de la valeur ajoutée (rappelons nous la parabole des talents – Mt 25,14 – : celui qui a réussi à fructifier les 5 talents et à les doubler rentre dans la joie de son maître et en plus reçoit le talent du serviteur paresseux). Et si on y réfléchit, c'est bien ça, le rôle d'un ministre : réussir à exploiter une richesse (le budget de l'Etat), pour en extraire une grande valeur ajoutée via une politique publique intelligente.
Encore faut-il à titre privé ne pas oublier que l'argent n'est qu'un moyen (pour poursuivre le bien commun), et pas un but. C'est le principe de la destination universelle des biens.
« Les richesses remplissent leur fonction de service à l'homme quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société […] Le mal consiste dans l'attachement démesuré aux richesses […] Le riche n'est qu'un administrateur de ce qu'il possède » (#329 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise)
J'aurais donc été plus intéressé de connaître les flux d'argents des ministres (quels investissements et achats faits dans les 5 dernières années) que de connaître le patrimoine aujourd'hui.

Pourquoi parler de moralisation de la vie politique ?
Faut-il moraliser la vie politique juste pour éviter des corruptions ou des malversations ?
Bien sûr, on pense tout de suite au rôle d'exemplarité du monde politique. «  Ceux qui exercent des responsabilités politiques ne doivent pas oublier la dimension morale de la représentation qui consiste dans l'engagement à partager le sort du peuple » (#410 du comendium).
Peut-on alors s'accomoder d'un homme politique qui n'ait aucune morale mais respecte néanmoins la loi ? Le magistère est beaucoup plus « intrusif » que ça et pose comme condition que chacun développe profondément tout un ensemble de principes, faute de quoi l'Etat ne serait qu'un outil d'optimisation des contraintes dont l'action n'aurait pas de « sens » :
« Pour rendre la communauté publique vraiment humaine, rien n'est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, du dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l'autorité publique » (#392 du compendium) « Si le septicisme venait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la loi morale, l'ordonnancement étatique [se réduirait] à un pur mécanisme de régulation pragmatique d'intérêts différents et opposés » (#397)
Le magistère va plus loin : « L'autorité doit se laisser guider par la loi morale : toute sa dignité dérive de son exercice dans le domaine de l'ordre moral, lequel à son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin […] Cet ordre ne peut s'édifier que sur Dieu ; séparé de Dieu, il se désintègre. C'est précisément de cet ordre que l'autorité tire sa force impérative et sa légitimité morale, non pas de l'arbitraire ou de la volonté de puissance » (#396, voir aussi #577)
Difficile de mettre la foi en Dieu dans les règles d'accession aux fonctions politiques d'envergure... D'où les appels fréquents de l'Eglise à ce que les chrétiens s'engagent en politique. Car en dehors de Dieu, l'unité du politique est impossible. Les chrétiens ont donc tout leur rôle à ces postes.

Plutôt qu'une loi supplémentaire, cherchons la conversion des hommes
La transparence des ministres sur leur situation financière est vraisemblablement une bonne chose, et le magistère le dit lui-même « [Dans le domaine de la communication publique et de l'économie], l'usage sans scrupules de l'argent fait naître des interrogations toujours plus pressantes qui renvoient nécessairement à un besoin de transparence et d'honnêteté dans l'action personnelle et sociale » (#198). On peut regretter qu'elle s'arrête à une photo le jour J difficile à interpréter plutôt qu'à une déclaration visant à donner les principes suivis par les ministres pour l'utilisation de ces richesses dans le but de poursuivre le bien commun.
Mais ce qu'il nous faut, c'est une conversion des hommes, pas une loi de plus. « Les Pères de l'Eglise insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences des croyants, plus que sur les exigences de changement des structures sociales et politiques de leurs époque, en pressant ceux qui s'adonnent à une activité économique et possèdent des biens de se considérer comme des administrateurs de ce que Dieu leur a confié. » (#328) « En ce qui concerne la question sociale, on ne peut accepter la perspective naïve qu'il pourrait exister pour nous, face aux grands défis de notre temps, une formule magique. Non, ce n'est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu'elle nous inspire : Je suis avec vous ! Il ne s'agit pas alors d'inventer un ''nouveau programme''. Le programme existe déjà : c'est celui de toujours, tiré de l'Evangile et de la Tradition vivante […] le Christ lui-même. » (#577)
Bref, intéressons-nous à la vie spirituelle de nos hommes politiques. Et engageons-nous en politique nous-mêmes si ça nous est possible.



dimanche 7 avril 2013

Est-il raisonnable de mettre un voile quand on est ministre en France ?


Il y a quelques jours, Najat Vallaud-Belkacem a été prise en photo en Tunisie portant … un voile. L'image a pu surprendre, et a en tout cas soulevé quelques critiques plus ou moins amènes. Il est vrai que pour la ministre des droits des femmes, il fallait s'attendre à ce que ce geste soit interprété. Globalement toutes les interprétations sont négatives (renforce la domination masculine, atteinte à la laïcité,...), mais personne ne semble s'être interrogé sur le sens et les raisons de ce port du voile. La ministre elle-même ne l'a pas non plus commenté donc il nous faut exercer notre imagination.
Notons pour commencer que Najat Vallaud Belkacem, bien que très discrète sur le sujet, est présentée dans quelques articles de presse comme « musulmane non pratiquante ». Elle a la double nationalité franco-marocaine. Au-delà d'une marque de politesse de s'adapter aux us et coutumes du pays dans lequel elle se rend, il n'est pas impossible que ce geste revête également pour elle un sens religieux. Sens qu'elle éviterait en France pour ne pas choquer la majorité de la population qui ne se reconnaîtrait pas dans ce choix, mais qui, plus normal au Maroc, l'aurait moins embarrassée dans le contexte de ce voyage.

Voyons ce que le magistère nous donne pour analyser cette affaire. Il faut bien sûr lire assez largement les considérations du magistère et accepter d'inclure les autres religions dans ce qu'il dit du lien entre foi et politique. En effet, dans l'introduction du compendium, le président du conseil pontifical « Justice et Paix » nous dit qu' « il est intéressant par ailleurs, de remarquer que de nombreux éléments recueillis ici sont partagés par les autres Eglises et Communautés ecclésiales, ainsi que par d'autres religions. Le texte a été élaboré de façon à servir non seulement ad intra, c'est-à-dire parmi les catholiques, mais aussi ad extra. »

Rien n'interdit le port du voile à des femmes politiques
#422 : « Les justes limites à l'exercice de la liberté religieuse doivent être déterminées pour chaque situation sociale avec la prudence politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par l'autorité civile à travers des normes juridiques conformes à l'ordre moral »

Si une loi limite le port de signe distinctif religieux, il faut ainsi qu'elle se base sur les exigences du bien commun. Il y a une différence entre interdire le port de la burqa et du simple voile. Ou d'interdire le port de signes religieux à tous les agents de la fonction publique ou seulement ceux au contact des enfants. De même, une conception « laïcarde » de la laïcité qui voudrait que tout signe physique ou verbal d'appartenance à une religion doive rester du domaine du privé est une grave remise en cause de la liberté de conscience, voire même de l'honnêteté intellectuelle vis-à-vis des gens à qui l'on parle. Il est toujours plus sain de comprendre pourquoi les gens ont telle ou telle vision sur le monde. Les « clans secrets » (franc-maçons, sectes…) ne sont pas des bonnes pratiques à multiplier.

#572 : « cette négation [de l'éthique, induite par la négation du droit des croyants à exprimer leur foi], qui prélude à une condition d'anarchie morale dont la conséquence évidente est la mainmise du plus fort sur le faible, ne peut être admise par aucune forme de pluralisme légitime, car elle mine les bases même de la coexistence humaine.

Il est plus important de porter un message de libération que de dénoncer la captivité
#159 du compendium de la DSE : « L'engagement pastoral se développe dans une double direction, d'annonce du fondement chrétien des droits de l'homme et de dénonciation des violations de ces droits : en tout cas, l'annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son véritable fondement et la force de la motivation la plus haute »

En ce sens, en évitant de choquer sur la forme, la ministre a peut-être pu faire passer avec plus de réussite des messages sur les droits des femmes. Elle a ainsi rencontré une association de défense des femmes lors de sa visite, accompagnée de Valérie Trierweiler. Evitant des polémiques inutiles sur le port du voile, elle a peut-être pu montrer que la dignité des femmes ne s'arrête pas au fait de ne pas porter de voile, et être plus écoutée sur d'autres points.

On peut plutôt se féliciter qu'au moins certains ministres reconnaissent un « ordre supérieur »
laicite2
#566 : « Les tâches de responsabilité dans les institutions sociales et politiques exigent un engagement sérieux [qui sache mettre en évidence] la nécessité absolue d'une qualification morale de la vie sociale et politique. Une attention inadéquate à la dimension morale conduit à la déshumanisation de la vie en société et des institutions sociales et politiques en consolidant les structures de péché »

Il est assez heureux qu'on puisse avoir parmi nos dirigeants au moins quelques individus qui non seulement croient en Dieu, mais également puisse montrer que cette croyance ne contredit pas leur engagement politique, voire la nourrit. Robert Schumann était le modèle du genre, qu'on a vu porter la croix lors d'un chemin de croix alors qu'il était ministre de l'intérieur. Un procès en canonisation est d'ailleurs en cours, dont le sens est de montrer qu'on peut être saint en politique.

*  *  *




Bref, même s'il faut se garder d'interprétations trop hâtives, j'aurais plutôt tendance à prendre le geste de Najat Vallaud Belkacem comme un signe d'espérance d'une relation plus apaisée avec les religions, au moins de sa part. Espérons que d'autres ministres pourront comprendre avec elle que les religions, sans s'opposer au pouvoir, donnent du sens à l'action tant des hommes politiques, que de la vie de leurs concitoyens.

mercredi 3 avril 2013

Faut-il supprimer la norme "saucisse, œufs durs, nuggets" ?


La semaine dernière, deux événements ont mis le doigt sur le problème de l'inflation de normes réglementaires : la remise du rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative , et l'interview télévisée du président de la République à la télé, jeudi. Le président, peut-être inspiré par le rapport, a annoncé vouloir un « choc de simplification ». Ses prédécesseurs ont déjà pu faire des annonces en ce sens, mais le constat semble rester vrai malgré les efforts réalisés pour faire baisser le nombre de normes.
Un parcours rapide du rapport Lambert-Boulard, du nom de ses co-auteurs, me semble montrer une théorisation intéressante des pistes de réflexion sur les chemins possibles de de simplification (Interpréter le plus souplement possible les normes, abroger les normes inutiles, adapter les normes trop inflexibles, revisiter les normes ne remplissant pas ou plus ce qu'on attend d'elles). L'analyse des cas particuliers de normes que les auteurs jugent mal pensées ou à supprimer me laisse cependant penser que l'analyse fine demandée par les auteurs au moment de l'apparition de normes n'a pas été poussée à fond systématiquement avant d'en proposer la suppression... Bref, il faudrait complexifier la simplification à mes yeux... Grave déviance que les auteurs qualifieraient sans doute de « centre de blocage » de ma part !
Se pose en fait principalement la question suivante : Quels principes doit respecter une norme pour avoir droit de cité dans la réglementation ?

Et sans surprise, je ressortirai trois des principes de la DSE...

Subsidiarité
Je commence par le principe de subsidiarité qui me semble être la clé de lecture de l'utilité d'une norme. Par défaut, toutes les décisions doivent être prises au plus proche du terrain. Donc pas dans la loi. Ce n'est que lorsque les citoyens considèrent qu'un sujet ne peut pas être géré correctement par chacun qu'il devient nécessaire d'édicter des normes qui retirent la décision aux « hommes de terrain » pour la mettre entre les mains du législateur. Le taux maximum d'alcool dans le sang pour conduire ne peut pas relever d'une décision personnelle. Entre les mauvaises appréciations des uns et des autres, et la gravité objective du problème, il apparaît qu'une règle communément acceptée est nécessaire pour maîtriser le phénomène. La contribution aux finances de l'Etat (et donc à la redistribution) ne peut pas non plus fonctionner sur la base d'un simple volontariat, d'où l'impôt. « Tu ne tueras point » n'est pas non plus une loi dont le respect relève de la liberté individuelle. Il est en revanche assez heureux qu'aucune loi ne m'oblige à posséder une bible ou un petit livre rouge, à dormir au moins huit heures chaque nuit, ou à pratiquer au moins un sport trois heures par semaine (même si c'est très bien de le faire)

Bien commun
pub-krys-lunettes-boeuf-cheval-lasagne-findus-fail-spangher.jpg
Entre les deux, une petite zone floue peut concerner des « normes » qu'on ne peut pas mettre en place sans réglementation uniforme, mais pour lesquelles les enjeux ne sont pas forcément suffisants pour imposer des contraintes à tout le monde. Là, c'est bien l'application du principe du bien commun qu'il faut regarder pour évaluer la nécessité d'imposer la contrainte à tout le monde, ou simplement de donner des bonnes pratiques pour faciliter les échanges. Faut-il dire d'où vient le miel qu'on achète ? De quelle ruche au sein de l'exploitation apicole ? On a pu voir dans les histoires de bœuf au cheval qu'une certaine traçabilité responsabilise les producteurs. En revanche, il y a une limite au-delà de laquelle le besoin de « maîtrise » du consommateur devient trop pesante pour les producteurs. Ou au-delà de laquelle le besoin de tranquillité de mon voisin m'empêche de vivre tranquillement ma vie si je joue d'un instrument de musique à des horaires raisonnables. Ou au-delà de laquelle il est trop lourd pour une école de respecter toutes les normes de sécurité quand elles organisent des sorties pour les élèves. Ou au-delà de laquelle il n'est plus raisonnable de faire des travaux supplémentaires pour un nombre de visiteurs porteurs de handicap limité.

Solidarité
On se trouve alors dans un contexte où la solidarité permet de sortir de l'affrontement entre le pour et le contre de la réglementation. Le consommateur accepte de n'avoir qu'une donnée partiellement précise sur la provenance pour éviter de faire porter une charge trop lourde au producteur. Le musicien amateur accepte de ne pas jouer la nuit, ou en période d'examen du voisin. Les parents acceptent de porter avec l'école un risque mesuré quand leur enfant part en classe verte. Les porteurs de handicap acceptent un certain inconfort pour limiter les dépenses publiques.
La solidarité appelle la solidarité et finit de concrétiser le bien commun (ensemble des conditions qui permet à la société et à chacun de ses membres de tendre à sa perfection) : Le producteur adopte des pratiques respectueuses qui évitent d'avoir à mettre en place une traçabilité insoutenable. Le voisin accepte d'entendre à certains moments la musique du jeune amateur. L'école propose une éducation complète aux enfants... Et chacun fait l'effort d'aider les porteurs de handicap quand il les voit à monter les trois marches d'accès à la mairie, à repérer leur sortie de métro, etc.

En effet, un monde dans lequel le geste de soutien est naturel est largement préférable à un monde dans lequel le geste de soutien est inutile.


« C'est aux personnes que revient, évidemment, le développement des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité, etc...), qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres ou déléguée aux institutions. Il revient à tous, et en particulier à ceux qui, sous diverses formes, exercent des responsabilités politiques, juridiques ou professionnelles à l'égard des autres, d'être la conscience vigilante de la société et les premiers témoins d'une vie civile en commun digne de l'homme. » (#134du compendium)

Et j'ajouterai que l'Homme doit toujours garder une certaine liberté que tend à lui supprimer une surabondance de lois :
« La personne humaine ne peut pas et ne doit pas être manipulée par des structures sociales, économiques et politiques car tout homme a la liberté de s'orienter vers sa fin dernière [… qui est] l'accomplissement de son destin en Dieu […] Toute vision totalitaire de la société et de l'Etat et toute idéologie purement intra-mondaine du progrès sont contraires à la vérité intégrale de la personne humaine et au dessein de Dieu sur l'histoire » (#48 du compendium)

Quelques exemples pour conclure le propos :

  • Loi « saucisse, œufs durs, nuggets », qui indique le nombre de nuggets qui doivent être donnés à la cantine selon l'âge des enfants : manque flagrant au principe de subsidiarité. Fait plus partie des bonnes pratiques que de ce que la loi doit fixer.
  • Réglementation sur l'accessibilité des bâtiments aux handicapés : Si cette norme fait disparaître la solidarité et la charité, cette norme est une mauvaise norme. Une certaine subsidiarité serait là aussi plutôt bienvenue, pour moduler l'obligation aux enjeux réels en termes de fréquentation.
  • Normes relatives aux mesures compensatoires biodiversité. Ces normes sont aujourd'hui peu centralisées en pratique. Pourtant, l'enjeu est de taille tant pour les porteurs de projets que pour la protection de la biodiversité qui nous est confiée. Il me semble que la difficulté à s'approprier ce sujet au niveau local milite pour une remontée du sujet, par subsidiarité, vers des réflexions nationales pour harmoniser un cadre d'analyse des projets... L'annonce d'une agence nationale de la biodiversité permettra peut-être de lancer un chantier de clarification des attentes qu'on peut avoir dans le domaine.


Bref, bon courage au gouvernement qui s’attelle à une tâche importante et que je pense être très utile pour favoriser les initiatives des citoyens dans tous les domaines !