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dimanche 19 février 2012

Taxer les échanges boursiers ?


L'Assemblée Nationale vient de voter dans la nuit du 15 au 16 février une loi introduisant (article 2) une taxation des échanges boursiers. Il s'agit :
- de taxer à 0,1% les achats d'action à la bourse
- de taxer à 0,01% les opérations de "trading à haute fréquence". Difficile à expliquer en trois mots, mais si j'ai bien compris, il s'agit notamment d'opérations successives faites "très rapidement" à la fois à l'achat et à la vente sur la même action, destinées à jouer sur le fait qu'entre deux instants où le cours de l'action est évalué, les ordres de vente arrivent parfois plus vite que les ordres d'achat (ou inversement). En deux mots, des ordres qui jouent sur des limitations techniques du système pour gagner de l'argent sur le dos d'autres personnes "moins rapides".
- de taxer à 0,01% les opérations sur les "CDS" qui sont des "assurances" contre le défaut de paiement des Etats.

Je vais commencer par tordre le cou à quelques idées classiques qu'on a sur la vision chrétienne de l'argent. On parlera ensuite des échanges financiers, puis de leur taxation.

Le rôle d'un chrétien acteur du monde économique est d'être un bon gestionnaire des richesses qui lui sont confiées


    Quand on pense à un riche, on aurait tort de s'arrêter à l'image du riche qui aura plus de mal à rentrer au royaume des cieux qu'un chameau aura de mal à passer à travers le trou d'une aiguille. Ce riche-là est celui qui "se fait fort de l'oeuvre de ses mains et qui ne compte que sur ses forces" au lieu de manifester "[une humble disponibilité et une ouverture à Dieu, une confiance en lui]" (#324 du compendium de la DSE). Une définition uniquement basée sur la grandeur de ses possessions serait trop réductrice. La richesse matérielle peut entraîner une impression d'indépendance vis-à-vis de Dieu, mais ce n'est pas systématique.
    Au contraire, la parabole des talents (Mt 25, 14-30) vient nous rappeler que "on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a". L'homme a été placé dans le jardin pour le cultiver et le garder (Gen 2, 15), et c'est ce que fait le serviteur qui reçoit 5 talents et les fait fructifier pour son maître, alors que celui qui ne reçoit qu'un talent et l'enfouit dans la terre oublie de "cultiver" ce don. C'est pourquoi à la fin de la parabole, le "bon gestionnaire" reçoit encore plus, pour qu'il puisse faire fructifier une plus grande somme encore.
    Notre rôle d'acteur économique, aujourd'hui encore, est de faire fructifier les richesses qui nous sont confiées par le Père, non pour nous-mêmes, mais en vue de Dieu (Luc 12,21). Concrètement, il nous faut donc agir dans le monde économique pour nous mettre au "service de l'homme et de la société" (#326 du compendium). Si cette activité d'acteur économique au service de l'homme et de la société génère du profit, c'est a priori une excellente nouvelle puisque ces profits pourront être réinvestis dans le même objectif.

    Il faut donc bien se garder de considérer que les revenus obtenus grâce à des plus values boursières sont par nature "illégitimes" et que cet argument suffit pour décider de les punir en les taxant.

Le développement des marchés permet de lancer de grands projets, mais induit des instabilités

    Le mécanisme de marchés permet d'atteindre plusieurs buts économiques : capacité à lever des fonds suffisants pour de grands projets (combien de cathédrales du moyen-âge ont deux flèches de hauteur différentes car elles n'ont pas réussi à boucler leur budget ?), capacité à faciliter des échanges de produits, et du coup à faire jouer la concurrence, etc.
    Néanmoins, le libre fonctionnement d'un marché n'est pas un but en soi. Le but de l'activité humaine, pour l'Eglise, est toujours la dignité de l'homme et son élévation vers Dieu. Et lorsqu'on constate que des acteurs, sur le marché, perdent leur rôle premier qui est de financer des projets et de faciliter les échanges, il devient juste d'adapter les règles pour limiter les comportements déviants, surtout s'ils viennent empêcher le sens premier de cette logique économique. La recherche du "bien commun" impose parfois de remettre à sa place l'intérêt d'un individu particulier...
    Les "maladies" du marché qu'on peut constater aujourd'hui sont :
- les marchés ne profitent qu'aux pays développés qui ont la main dessus. Les pays pauvres ne profitent que très peu des bienfaits de la fluidité des échanges
- la grande fluidité des échanges permet d'accompagner de grands projets, mais elle permet aussi des explosions très brutales de bulles spéculatives
- la rapidité des échanges, et leur coût nul, fait que de nombreux acteurs s'enrichissent sur les marchés non plus en accompagnant des projets et en les finançant, mais en "jouant" sur les fluctuations du cours sans lien particulier avec l'avancement des projets.

Vers une taxation des échanges boursiers ?

    Il apparaît aujourd'hui nécessaire, donc, de renforcer la stabilité des marchés pour permettre de continuer le grand élan vers une qualité de vie meilleure dans le monde entier qui a lieu depuis plusieurs décennies, tout en tentant de réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres. Les comportements "antisociaux" de traders jouant sur des limitations techniques pour s'enrichir aux dépens d'autres acteurs doivent en revanche être "freinés".
    L'Eglise appelle de ses voeux une taxation sur les produits financiers :
" Des mesures de taxation des transactions financières, avec l’application de taux justes d’impôt, avec des charges proportionnées à la complexité des opérations[...]. Une telle taxation serait très utile pour promouvoir le développement mondial et durable selon les principes de justice sociale et de solidarité, et elle pourrait contribuer à la constitution d’une réserve mondiale destinée à soutenir les économies des pays touchés par la crise, ainsi que la restauration de leur système monétaire et financier;" (Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle, 2011)
    La loi votée par l'Assemblée Nationale permet d'aller un peu dans ce sens, puisqu'elle permettra à l'Etat français de récupérer 1 milliard d'euros par année qui lui permettront d'alléger sa dette tout en "freinant" un peu les comportements déviants qui sont plus taxés que les comportements normaux.
- vente très fréquentes d'actions
- volumes d'ordres très importants avec beaucoup d'annulations d'ordres
- spéculation sur les dettes des Etats
    Par rapport à la position de l'Eglise, on peut simplement regretter que ce gain d'argent ne serve pas du tout à soutenir les économies des pays plus pauvres.
    La difficulté rencontrée par la France pour mettre seule cette taxation était identifiée par l'Eglise dans le document de 2011 qui propose la mise en place d'institutions internationales permettant d'homogénéiser les pratiques. Espérons que la France puisse continuer à être acteur efficace de la mise en place de cette taxation par exemple en proposant la création de telles instances, ou à défaut en réussissant à faire adhérer d'autres pays au principe de cette taxe.