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vendredi 6 avril 2012

Faut-il séquestrer son patron pour faire avancer les conflits sociaux ?


 Il est parfois de ces modes qui vont et viennent. La séquestration de patrons semble être dans une période de haut. Hier à l'imprimerie Jean Decoster pour obtenir une prime de licenciement extra-légale, avant-hier à E.ON pour annuler un plan de licenciement, jeudi dernier à la FNAC de Paris pour obtenir des réponses sur une modération salariale. Ce sujet pose la question du lien des employés avec leur patron. Mais aussi du lien entre le patron et l'entreprise qu'il dirige, et représente. Est-il légitime de séquestrer une personne pour faire plier une organisation ? Quel est le positionnement du directeur dans son entreprise ?


L'entrepreneur : un homme au service du bien commun

Avant d'entamer le fond du sujet, on pourra commencer par observer qu'un chef d'entreprise est un homme (ou une femme !), et qu'il a, du coup, droit à certains égards. Voire certains droits naturels. “La liberté est dans l'homme un signe très élevé de l'image divine et, en conséquence, un signe de la dignité sublime de chaque personne humaine: La liberté s'exerce dans les rapports entre les êtres humains. Chaque personne humaine, créée à l'image de Dieu, a le droit naturel d'être reconnue comme un être libre et responsable. Tous doivent à chacun ce devoir du respect. Le droit à l'exercice de la liberté est une exigence inséparable de la dignité de la personne humaine” (#199 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise). On a parlé des prisonniers dans un précédent post, mais leur privation de liberté est décidée par l'Etat, qui, seul, peut infliger des peines, et non par d'autres particuliers. Les séquestrations sont donc des actes inacceptables en ce qu'elles touchent l'homme et non une “simple” organisation. Si on avait besoin de s'en convaincre, la violence éventuellement nécessaire pour maintenir une personne en séquestration est également illicite : “ La violence détruit ce qu'elle prétend défendre: la dignité, la vie, la liberté des êtres humains” (#496)
Le choix des armes étant restreint, les raisons d'un mécontentement n'en sont pour autant pas écartées. Elles peuvent venir d'un mauvais positionnement du chef d'entreprise, ou d'un mauvais positionnement des employés. Le chef d'entreprise a pour rôle de “gérer” la société. Il administre les biens et personnes qui la composent : fonds propres, outil de production, personnels, et dans une mesure différente, actionnaires, … Cette gestion, par application du principe de destination universelle des biens, se fait en vue du bien commun. Pour ce faire, “ l'exercice des responsabilités de l'entrepreneur et du dirigeant exige [...] une réflexion constante sur les motivations morales qui doivent guider les choix personnels de ceux à qui incombent ces tâches.” (#344). Le chef d'entreprise doit connaître et cultiver ses motivations morales pour réussir à bien appréhender le bien commun. (si vous êtes chef de quelque chose, prenez donc deux-trois secondes et demandez-vous si vous connaissez vos motivations morales).
Sa responsabilité est personnelle devant tous : cf supra “[...] choix personnels de ceux à qui incombent ces tâches”. Il ne peut donc pas se cacher derrière une “organisation” qui porterait la responsabilité de ses choix. La responsabilité n'est pas un concept vague destiné à être “flouté” dans une organisation dont les individus ont disparu. L'organisation a pour but de permettre une prise de responsabilité par une personne qui se repose sur un réseau de compétence ou de savoirs-faire : « une acception du péché social qui, plus ou moins consciemment, conduirait à en diluer et presque à en effacer la composante personnelle, pour n'admettre que les fautes et les responsabilités sociales, n'est ni légitime ni acceptable. Au fond de chaque situation de péché se trouve toujours la personne qui pèche. » (#117). Cette responsabilité du chef d'entreprise a de multiples facettes : «  l'application, l'ardeur au travail, la prudence face aux risques raisonnables à prendre, la confiance méritée et la fidélité dans les rapports interpersonnels, l'énergie dans l'exécution de décisions difficiles et douloureuses mais nécessaires pour le travail commun de l'entreprise et pour faire face aux éventuels renversements de situations » (#343)

Les employés participent au bien commun à la suite de l'entrepreneur
En contrepartie de cette responsabilité, de la fidélité dans les rapports interpersonnels et de l'obligation parfois de devoir exécuter les décisions difficiles et douloureuses mais nécessaires, les employés doivent respecter les décisions du chef d'entreprise, et ne pas le déposséder de son pouvoir et de ses avoirs. La parabole des vignerons homicides (Mt 21,33-46) nous montre des ouvriers qui se révoltent pour confisquer l'outil de travail (la vigne) et font violence aux représentants du maître de la vigne qui viennent réclamer leur dû. Le maître, finalement, « fera misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps ».
L'encyclique Quadragesimo Anno ne le dit pas moins clairement : « Grèves et lockouts sont interdits ». Il n'est pas question ici de supprimer le droit au dialogue social ni même à la contestation sociale. Mais il est question de positionner ce dialogue sur un terrain de construction plutôt que de destruction. La grève qui empêche les outils (et les autres hommes) de produire leur fruit, est en effet contraire à la destination universelle des biens : «  Le Pape, bien entendu, n'entend pas condamner tout conflit social sous quelque forme que ce soit : l'Eglise sait bien que les conflits d'intérêts entre divers groupes sociaux surgissent inévitablement dans l'histoire et que le chrétien doit souvent prendre position à leur sujet avec décision et cohérence […] Ce qui est condamné dans la lutte des classes, c'est plutôt l'idée d'un conflit dans lequel n'interviennent pas de considérations de caractère éthique ou juridique, qui se refuse à respecter la dignité de la personne chez autrui (et, par voie de conséquence, en soi- même), qui exclut pour cela un accommodement raisonnable et recherche non pas le bien général de la société, mais plutôt un intérêt de parti qui se substitue au bien commun et veut détruire ce qui s'oppose à lui. » (Centesimus annus). On peut ainsi se poser la question de la légitimité de séquestration faites dans le but d'obtenir une prime « supra-légale », la loi proposant ce que le législateur a jugé être un accommodement raisonnable. La modération salariale en période de crise est également prévue par la doctrine sociale de l'Eglise comme une application du principe de participation, et pourrait donc être comprise comme un accommodement raisonnable si c'est la seule alternative à un plan de licenciements. Les plans de licenciements, s'ils se substituent à une liquidation, peuvent aussi être des accommodements raisonnables. Dans les trois cas cités dans l'introduction, je ne connais pas suffisamment bien le sujet pour juger. Mais il est vrai que la campagne électorale induit probablement une certaine médiatisation de situations qui ne seraient pas jugées anormales en période plus apaisée.

Au contraire, une contestation non-violente doit permettre d'orienter les négociations vers une solution honnête au problème : « La lutte des classes, en effet, quand on s'abstient d'actes de violence et de haine réciproque, se transforme peu à peu en une honnête discussion, fondée sur la recherche de la justice » (Quadragesimo Anno). Cette orientation est probablement un acte de foi difficile à poser lorsqu'un ouvrier est soumis à une décision injuste, mais peut être poursuivie dans un esprit de correction fraternelle si l'injustice est criante, correction fraternelle qui va jusqu'à la dénonciation publique si nécessaire, ou auprès des tribunaux.

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Ainsi, la responsabilité du chef d'entreprise est pleine et première dans l'exercice de ses fonctions, qui sont orientées vers le bien commun, ce qui peut notamment passer par le fait de créer ou maintenir de l'emploi et des conditions de travail conformes à la dignité de chaque être humain. Lorsque l'intérêt personnel prend le pas sur le bien commun, et seulement dans ce cas, les employés sont en droit d’œuvrer pour corriger les errements du chef d'entreprise, ce qui doit pouvoir être fait par une honnête discussion, et à défaut par des moyens plus visibles, mais non violents. L'intérêt partisan de la défense des intérêts des seuls travailleurs n'est en revanche pas suffisant pour justifier de comportements incitant au conflit social, le bien commun ne se limitant pas aux intérêts des travailleurs.

PS : je profite de ce post pour :
  • vous proposer une lecture pour le Samedi Saint demain pour tous ceux qui ne connaissent pas la signification du « il est descendu aux enfers » du Credo
  • vous souhaiter une bonne fête de Pâques
  • vous suggérer, en guise de cadeau de Pâques à vos proches, de leur faire découvrir ce blog !