Il
est parfois de ces modes qui vont et viennent. La séquestration de
patrons semble être dans une période de haut. Hier à l'imprimerie
Jean Decoster pour obtenir une prime de licenciement extra-légale,
avant-hier à E.ON pour annuler un plan de licenciement, jeudi
dernier à la FNAC de Paris pour obtenir des réponses sur une
modération salariale. Ce sujet pose la question du lien des employés
avec leur patron. Mais aussi du lien entre le patron et l'entreprise
qu'il dirige, et représente. Est-il légitime de séquestrer une
personne pour faire plier une organisation ? Quel est le
positionnement du directeur dans son entreprise ?
L'entrepreneur :
un homme au service du bien commun


Le choix des
armes étant restreint, les raisons d'un mécontentement n'en sont
pour autant pas écartées. Elles peuvent venir d'un mauvais
positionnement du chef d'entreprise, ou d'un mauvais positionnement
des employés. Le chef d'entreprise a pour rôle de “gérer” la
société. Il administre les biens et personnes qui la composent :
fonds propres, outil de production, personnels, et dans une mesure
différente, actionnaires, … Cette gestion, par application du
principe de destination universelle des biens, se fait en vue du bien
commun. Pour ce faire, “ l'exercice des responsabilités de
l'entrepreneur et du dirigeant exige [...] une réflexion constante
sur les motivations morales qui doivent guider les choix personnels
de ceux à qui incombent ces tâches.” (#344). Le chef d'entreprise
doit connaître et cultiver ses motivations morales pour réussir à
bien appréhender le bien commun. (si vous êtes chef de quelque
chose, prenez donc deux-trois secondes et demandez-vous si vous
connaissez vos motivations morales).
Sa responsabilité
est personnelle devant tous : cf supra “[...] choix personnels de
ceux à qui incombent ces tâches”. Il ne peut donc pas se cacher
derrière une “organisation” qui porterait la responsabilité de
ses choix. La responsabilité n'est pas un concept vague destiné à
être “flouté” dans une organisation dont les individus ont
disparu. L'organisation a pour but de permettre une prise de
responsabilité par une personne qui se repose sur un réseau de
compétence ou de savoirs-faire : « une acception du péché
social qui, plus ou moins consciemment, conduirait à en diluer et
presque à en effacer la composante personnelle, pour n'admettre que
les fautes et les responsabilités sociales, n'est ni légitime ni
acceptable. Au fond de chaque situation de péché se trouve toujours
la personne qui pèche. » (#117). Cette responsabilité du chef
d'entreprise a de multiples facettes : « l'application,
l'ardeur au travail, la prudence face aux risques raisonnables à
prendre, la confiance méritée et la fidélité dans les rapports
interpersonnels, l'énergie dans l'exécution de décisions
difficiles et douloureuses mais nécessaires pour le travail commun
de l'entreprise et pour faire face aux éventuels renversements de
situations » (#343)
Les
employés participent au bien commun à la suite de l'entrepreneur
En
contrepartie de cette responsabilité, de la fidélité dans les
rapports interpersonnels et de l'obligation parfois de devoir
exécuter les décisions difficiles et douloureuses mais nécessaires,
les employés doivent respecter les décisions du chef d'entreprise,
et ne pas le déposséder de son pouvoir et de ses avoirs. La
parabole des vignerons homicides (Mt 21,33-46) nous montre des
ouvriers qui se révoltent pour confisquer l'outil de travail (la
vigne) et font violence aux représentants du maître de la vigne qui
viennent réclamer leur dû. Le maître, finalement, « fera
misérablement périr ces misérables, et il louera la vigne à
d'autres vignerons, qui lui en livreront les fruits en leur temps ».
L'encyclique
Quadragesimo Anno ne le dit pas moins clairement : « Grèves
et lockouts sont interdits ». Il n'est pas question ici de
supprimer le droit au dialogue social ni même à la contestation
sociale. Mais il est question de positionner ce dialogue sur un
terrain de construction plutôt que de destruction. La grève qui
empêche les outils (et les autres hommes) de produire leur fruit,
est en effet contraire à la destination universelle des biens :
« Le
Pape, bien entendu, n'entend pas condamner tout conflit social sous
quelque forme que ce soit : l'Eglise sait bien que les conflits
d'intérêts entre divers groupes sociaux surgissent inévitablement
dans l'histoire et que le chrétien doit souvent prendre position à
leur sujet avec décision et cohérence […] Ce
qui est condamné dans la lutte des classes, c'est plutôt l'idée
d'un conflit dans lequel n'interviennent pas de considérations de
caractère éthique ou juridique, qui se refuse à respecter la
dignité de la personne chez autrui (et, par voie de conséquence, en
soi- même), qui exclut pour cela un accommodement raisonnable et
recherche non pas le bien général de la société, mais plutôt un
intérêt de parti qui se substitue au bien commun et veut détruire
ce qui s'oppose à lui. »
(Centesimus
annus). On peut ainsi se poser la question de la légitimité de
séquestration faites dans le but d'obtenir une prime
« supra-légale », la loi proposant ce que le législateur
a jugé être un accommodement raisonnable. La modération salariale
en période de crise est également prévue par la doctrine sociale
de l'Eglise comme une application du principe de participation, et
pourrait donc être comprise comme un accommodement raisonnable si
c'est la seule alternative à un plan de licenciements. Les plans de
licenciements, s'ils se substituent à une liquidation, peuvent aussi
être des accommodements raisonnables. Dans les trois cas cités dans
l'introduction, je ne connais pas suffisamment bien le sujet pour
juger. Mais il est vrai que la campagne électorale induit
probablement une certaine médiatisation de situations qui ne
seraient pas jugées anormales en période plus apaisée.
Au
contraire, une contestation non-violente doit permettre d'orienter
les négociations vers une solution honnête au problème : «
La lutte des classes, en effet, quand on s'abstient d'actes de
violence et de haine réciproque, se transforme peu à peu en une
honnête discussion, fondée sur la recherche de la justice »
(Quadragesimo Anno). Cette orientation est probablement un acte de
foi difficile à poser lorsqu'un ouvrier est soumis à une décision
injuste, mais peut être poursuivie dans un esprit de correction
fraternelle si l'injustice est criante, correction fraternelle qui va
jusqu'à la dénonciation publique si nécessaire, ou auprès des
tribunaux.
* * *
Ainsi,
la responsabilité du chef d'entreprise est pleine et première dans
l'exercice de ses fonctions, qui sont orientées vers le bien commun,
ce qui peut notamment passer par le fait de créer ou maintenir de
l'emploi et des conditions de travail conformes à la dignité de
chaque être humain. Lorsque l'intérêt personnel prend le pas sur
le bien commun, et seulement dans ce cas, les employés sont en droit
d’œuvrer pour corriger les errements du chef d'entreprise, ce qui
doit pouvoir être fait par une honnête discussion, et à défaut
par des moyens plus visibles, mais non violents. L'intérêt partisan
de la défense des intérêts des seuls travailleurs n'est en
revanche pas suffisant pour justifier de comportements incitant au
conflit social, le bien commun ne se limitant pas aux intérêts des
travailleurs.
PS :
je profite de ce post pour :
- vous proposer une lecture pour le Samedi Saint demain pour tous ceux qui ne connaissent pas la signification du « il est descendu aux enfers » du Credo
- vous souhaiter une bonne fête de Pâques
- vous suggérer, en guise de cadeau de Pâques à vos proches, de leur faire découvrir ce blog !