lundi 25 mars 2013

Faut-il résister ?


 Le texte introductif à la messe des rameaux terminait sur une phrase de circonstance. Aux Pharisiens qui demandaient à Jésus de faire taire les foules qui le louaient, il répond :

« S'ils se taisent, les pierres crieront » Luc 19,40

     La formule est superbe, elle parle toute seule. Si le langage de l'évangile est étouffé, il ressort plus éclatant encore. L'annonce de l'évangile a beau être notre mission, si nous faiblissons, Dieu continuera par d'autres voies. Je suis intimement convaincu que Dieu est là, posant son regard d'amour sur notre pays. La loi autorisant le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels passera ou ne passera pas. Mais l'amour de Dieu, lui, nous suivra jusqu'à la fin des temps. Si l'humanité s'égare momentanément, la Providence saura la retrouver un peu plus loin. On peut juste regretter que parfois l'humanité commence par s'éloigner pour mieux se rapprocher de Dieu après...



     En attendant, l'après-midi n'a pas été marquée par un silence trop pesant, rue de la Grande Armée à Paris. Peut-être étions-nous déjà les premières pierres qui criaient pour que le message passé sous silence soit entendu. D'autres suivront.
     On a beaucoup parlé des échauffourées en marge de la manif. Sans surprise, les pro s'offusquent du comportement de certains manifestants (cf #285 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise : « les croyants devront se distinguer [le dimanche] par leur modération, en évitant tous les excès et les violences qui caractérisent souvent les divertissements de masse. Le jour du Seigneur doit toujours être vécu comme le jour de la libération »). Et les anti s'offusquent des actions violentes des CRS.
L'offuscation est un sentiment à la fois sain et parfois un peu imparfait. Le cardinal Ratzinger comprenait en effet la béatitude « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés » comme un encouragement à chercher et regretter dans le monde les sources d'injustice pour pouvoir les combattre, et donc rassasier notre soif de justice. A l'inverse, l'Eglise garde toujours une approche prudente sur la justice et notamment sa mise en œuvre trop mécanique. « Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver à se nier elle-même, si elle ne s'ouvre pas à cette force plus profonde qu'est l'amour » (#203 du compendium). Bref, une chose est sûre : compter les points n'est pas une bonne approche pour l'analyse de cette manifestation !


     Ceci étant dit, le magistère nous donne quelques clés de lecture sur la résistance.

     Pour commencer, le magistère signale (#398) que « si la loi est en contraste avec la raison, on l'appelle loi inique ; dans ce cas, toutefois, elle cesse d'être loi et devient plutôt un acte de violence »

    Tout en disant que la résistance passive est préférable à la violence, le magistère donne ensuite les conditions d'exercice d'un droit de résistance (éventuellement violent voire armé) :
  • en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux
  • après avoir épuisé tous les autres recours
  • sans provoquer des désordres pires (ce qui est une restriction claire à l'usage de violence ou d'armes dans l'exercice d'un droit de résistance)
  • s'il y a un espoir fondé de réussite
  • s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures
     On peut penser que ces clés de lecture sont donc aussi intéressantes pour des cas où une résistance armée n'est pas nécessaire, mais où une résistance doit être montée, pour savoir si cette résistance est alors légitime ou non. (le respect de l'autorité légitime étant sinon la norme obligatoire pour les chrétiens commeon a déjà pu le dire ici)
     En faisant cette petite lecture, on peut penser, en vrac :
  • qu'aller provoquer un CRS en l'insultant ou en tapant sur son bouclier n'apporte pas d'espoirs fondés de réussite de faire tomber la loi Taubira.
  • Qu'envoyer des lacrimogènes sur des poussettes est susceptible de provoquer des désordres pires que quelques dizaines de personnes qui rentrent sur les Champs-Elysées.
  • Que se voir refuser les Champs-Elysées n'est pas en soi une violation grave, certaine et prolongée des droits fondamentaux et qu'il n'est pas légitime de résister à cette demande des autorités.

     En continuant la lecture, on voit que pour contrer ce qui leur apparaît comme un risque d'une violation certaine, grave et prolongée de droits fondamentaux, les organisateurs de la manif pour tous ont épuisé tous les autres recours (CESE, manifestations, meetings, happenings, contentieux administratifs, ...) et qu'ils sont donc aujourd'hui et depuis les premières manifestations dans une phase de « résistance ». Leurs multiples appels, avant et lors de la manifestation, pour rester calme, pour éviter les débordements, pour aimer les homosexuels, et pour bannir toute violence de cette action, ont pour but d'éviter de créer des désordres pires que ceux qu'ils veulent combattre. Leurs actions d'envergure ont un espoir fondé de réussite même si cet espoir n'est pas une certitude. Et je crois qu'ils ont tenté toutes les bonnes solutions raisonnablement envisageables... Je ne crois pas me tromper en disant que l'un ou l'autre ont lu le compendium et en ont fait leur miel... !

     Après une condamnation générale de la violence (#496, qui semble contradictoire avec les critères plus hauts qui l'autorisent sous conditions strictes), le magistère confirme que « Le monde actuel a lui aussi besoin du témoignage de prophètes non armés, hélas objet de railleries à toute époque ». C'est le sens je pense de l'initiative heureuse et qui nourrit mon espérance, de Tugdual Derville, Pierre-Yves Gomez et Gilles Hériard qui lancent un mouvement « Ecologie Humaine » qui entend développer « tout homme et tout l'homme » (ça non plus, ça ne sort pas de nulle part!). On pourra les aider à surmonter les railleries et surtout à faire avancer le monde sur un chemin d'avenir !




     Pour finir et pour chacun d'entre nous, un chemin pour les ultimes jours qui nous séparent de Pâques dans notre relation au gouvernement actuel : (#517) « L'Eglise enseigne qu'une paix véritable n'est possible que par le pardon et la réconciliation. […] Le poids du passé, qui ne peut pas être oublié, ne peut être accepté qu'en présence d'un pardon réciproquement offert et reçu : il s'agit d'un parcours long et difficile, mais pas impossible. Le pardon réciproque ne doit pas annuler les exigences de la justice ni, encore moins, barrer le chemin qui conduit à la vérité : justice et vérité représentent plutôt les conditions concrètes de la réconciliation »... Bref, un peu de travail des deux côtés. La paix véritable avec le gouvernement, on en a besoin dans cette période difficile sur le plan écologique, économique, social. On peut commencer,  tout en continuant à rechercher la vérité avec lui. Le gouvernement nous rattrapera tôt ou tard sur ce chemin si on l'aide à y rentrer.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire