La semaine
dernière, deux événements ont mis le doigt sur le problème de
l'inflation de normes réglementaires : la remise du rapport
de la mission de lutte contre l'inflation normative , et
l'interview télévisée du président de la République à la télé,
jeudi. Le président, peut-être inspiré par le rapport, a annoncé
vouloir un « choc de simplification ». Ses prédécesseurs
ont déjà pu faire des annonces en ce sens, mais le constat semble
rester vrai malgré les efforts réalisés pour faire baisser le
nombre de normes.
Un parcours rapide
du rapport Lambert-Boulard, du nom de ses co-auteurs, me semble
montrer une théorisation intéressante des pistes de réflexion sur
les chemins possibles de de simplification (Interpréter le plus
souplement possible les normes, abroger les normes inutiles, adapter
les normes trop inflexibles, revisiter les normes ne remplissant pas
ou plus ce qu'on attend d'elles). L'analyse des cas particuliers de
normes que les auteurs jugent mal pensées ou à supprimer me laisse
cependant penser que l'analyse fine demandée par les auteurs au
moment de l'apparition de normes n'a pas été poussée à fond
systématiquement avant d'en proposer la suppression... Bref, il
faudrait complexifier la simplification à mes yeux... Grave déviance
que les auteurs qualifieraient sans doute de « centre de
blocage » de ma part !
Se pose en fait
principalement la question suivante : Quels principes doit
respecter une norme pour avoir droit de cité dans la
réglementation ?
Et sans surprise,
je ressortirai trois des principes de la DSE...
Subsidiarité
Je commence par le
principe de subsidiarité qui me semble être la clé de lecture de
l'utilité d'une norme. Par défaut, toutes les décisions doivent
être prises au plus proche du terrain. Donc pas dans la loi. Ce
n'est que lorsque les citoyens considèrent qu'un sujet ne peut pas
être géré correctement par chacun qu'il devient nécessaire
d'édicter des normes qui retirent la décision aux « hommes de
terrain » pour la mettre entre les mains du législateur. Le
taux maximum d'alcool dans le sang pour conduire ne peut pas relever
d'une décision personnelle. Entre les mauvaises appréciations des
uns et des autres, et la gravité objective du problème, il apparaît
qu'une règle communément acceptée est nécessaire pour maîtriser
le phénomène. La contribution aux finances de l'Etat (et donc à la
redistribution) ne peut pas non plus fonctionner sur la base d'un
simple volontariat, d'où l'impôt. « Tu ne tueras point »
n'est pas non plus une loi dont le respect relève de la liberté
individuelle. Il est en revanche assez heureux qu'aucune loi ne
m'oblige à posséder une bible ou un petit livre rouge, à dormir au
moins huit heures chaque nuit, ou à pratiquer au moins un sport
trois heures par semaine (même si c'est très bien de le faire)
Bien commun
Entre les deux,
une petite zone floue peut concerner des « normes » qu'on
ne peut pas mettre en place sans réglementation uniforme, mais pour
lesquelles les enjeux ne sont pas forcément suffisants pour imposer
des contraintes à tout le monde. Là, c'est bien l'application du
principe du bien commun qu'il faut regarder pour évaluer la
nécessité d'imposer la contrainte à tout le monde, ou simplement
de donner des bonnes pratiques pour faciliter les échanges. Faut-il
dire d'où vient le miel qu'on achète ? De quelle ruche au sein
de l'exploitation apicole ? On a pu voir dans les histoires de
bœuf au cheval qu'une certaine traçabilité responsabilise les
producteurs. En revanche, il y a une limite au-delà de laquelle le
besoin de « maîtrise » du consommateur devient trop
pesante pour les producteurs. Ou au-delà de laquelle le besoin de
tranquillité de mon voisin m'empêche de vivre tranquillement ma vie
si je joue d'un instrument de musique à des horaires raisonnables.
Ou au-delà de laquelle il est trop lourd pour une école de
respecter toutes les normes de sécurité quand elles organisent des
sorties pour les élèves. Ou au-delà de laquelle il n'est plus
raisonnable de faire des travaux supplémentaires pour un nombre de
visiteurs porteurs de handicap limité.
Solidarité
On se trouve alors
dans un contexte où la solidarité permet de sortir de
l'affrontement entre le pour et le contre de la réglementation. Le
consommateur accepte de n'avoir qu'une donnée partiellement précise
sur la provenance pour éviter de faire porter une charge trop lourde
au producteur. Le musicien amateur accepte de ne pas jouer la nuit,
ou en période d'examen du voisin. Les parents acceptent de porter
avec l'école un risque mesuré quand leur enfant part en classe
verte. Les porteurs de handicap acceptent un certain inconfort pour
limiter les dépenses publiques.
La solidarité
appelle la solidarité et finit de concrétiser le bien commun
(ensemble des conditions qui permet à la société et à chacun de
ses membres de tendre à sa perfection) : Le producteur adopte
des pratiques respectueuses qui évitent d'avoir à mettre en place
une traçabilité insoutenable. Le voisin accepte d'entendre à
certains moments la musique du jeune amateur. L'école propose une
éducation complète aux enfants... Et chacun fait l'effort d'aider
les porteurs de handicap quand il les voit à monter les trois
marches d'accès à la mairie, à repérer leur sortie de métro,
etc.
En
effet, un monde dans lequel le geste de soutien est naturel est
largement préférable à un monde dans lequel le geste de soutien
est inutile.
« C'est aux personnes que revient, évidemment, le développement des attitudes morales, fondamentales pour toute vie en commun qui se veut véritablement humaine (justice, honnêteté, véracité, etc...), qui ne peut en aucun cas être simplement attendue des autres ou déléguée aux institutions. Il revient à tous, et en particulier à ceux qui, sous diverses formes, exercent des responsabilités politiques, juridiques ou professionnelles à l'égard des autres, d'être la conscience vigilante de la société et les premiers témoins d'une vie civile en commun digne de l'homme. » (#134du compendium)
Et j'ajouterai que
l'Homme doit toujours garder une certaine liberté que tend à lui
supprimer une surabondance de lois :
« La
personne humaine ne peut pas et ne doit pas être manipulée par des
structures sociales, économiques et politiques car tout homme a la
liberté de s'orienter vers sa fin dernière [… qui est]
l'accomplissement de son destin en Dieu […] Toute vision
totalitaire de la société et de l'Etat et toute idéologie purement
intra-mondaine du progrès sont contraires à la vérité intégrale
de la personne humaine et au dessein de Dieu sur l'histoire » (#48 du compendium)
Quelques exemples
pour conclure le propos :
- Loi « saucisse, œufs durs, nuggets », qui indique le nombre de nuggets qui doivent être donnés à la cantine selon l'âge des enfants : manque flagrant au principe de subsidiarité. Fait plus partie des bonnes pratiques que de ce que la loi doit fixer.
- Réglementation sur l'accessibilité des bâtiments aux handicapés : Si cette norme fait disparaître la solidarité et la charité, cette norme est une mauvaise norme. Une certaine subsidiarité serait là aussi plutôt bienvenue, pour moduler l'obligation aux enjeux réels en termes de fréquentation.
- Normes relatives aux mesures compensatoires biodiversité. Ces normes sont aujourd'hui peu centralisées en pratique. Pourtant, l'enjeu est de taille tant pour les porteurs de projets que pour la protection de la biodiversité qui nous est confiée. Il me semble que la difficulté à s'approprier ce sujet au niveau local milite pour une remontée du sujet, par subsidiarité, vers des réflexions nationales pour harmoniser un cadre d'analyse des projets... L'annonce d'une agence nationale de la biodiversité permettra peut-être de lancer un chantier de clarification des attentes qu'on peut avoir dans le domaine.
Bref, bon courage au
gouvernement qui s’attelle à une tâche importante et que je pense
être très utile pour favoriser les initiatives des citoyens dans
tous les domaines !
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