dimanche 7 avril 2013

Est-il raisonnable de mettre un voile quand on est ministre en France ?


Il y a quelques jours, Najat Vallaud-Belkacem a été prise en photo en Tunisie portant … un voile. L'image a pu surprendre, et a en tout cas soulevé quelques critiques plus ou moins amènes. Il est vrai que pour la ministre des droits des femmes, il fallait s'attendre à ce que ce geste soit interprété. Globalement toutes les interprétations sont négatives (renforce la domination masculine, atteinte à la laïcité,...), mais personne ne semble s'être interrogé sur le sens et les raisons de ce port du voile. La ministre elle-même ne l'a pas non plus commenté donc il nous faut exercer notre imagination.
Notons pour commencer que Najat Vallaud Belkacem, bien que très discrète sur le sujet, est présentée dans quelques articles de presse comme « musulmane non pratiquante ». Elle a la double nationalité franco-marocaine. Au-delà d'une marque de politesse de s'adapter aux us et coutumes du pays dans lequel elle se rend, il n'est pas impossible que ce geste revête également pour elle un sens religieux. Sens qu'elle éviterait en France pour ne pas choquer la majorité de la population qui ne se reconnaîtrait pas dans ce choix, mais qui, plus normal au Maroc, l'aurait moins embarrassée dans le contexte de ce voyage.

Voyons ce que le magistère nous donne pour analyser cette affaire. Il faut bien sûr lire assez largement les considérations du magistère et accepter d'inclure les autres religions dans ce qu'il dit du lien entre foi et politique. En effet, dans l'introduction du compendium, le président du conseil pontifical « Justice et Paix » nous dit qu' « il est intéressant par ailleurs, de remarquer que de nombreux éléments recueillis ici sont partagés par les autres Eglises et Communautés ecclésiales, ainsi que par d'autres religions. Le texte a été élaboré de façon à servir non seulement ad intra, c'est-à-dire parmi les catholiques, mais aussi ad extra. »

Rien n'interdit le port du voile à des femmes politiques
#422 : « Les justes limites à l'exercice de la liberté religieuse doivent être déterminées pour chaque situation sociale avec la prudence politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par l'autorité civile à travers des normes juridiques conformes à l'ordre moral »

Si une loi limite le port de signe distinctif religieux, il faut ainsi qu'elle se base sur les exigences du bien commun. Il y a une différence entre interdire le port de la burqa et du simple voile. Ou d'interdire le port de signes religieux à tous les agents de la fonction publique ou seulement ceux au contact des enfants. De même, une conception « laïcarde » de la laïcité qui voudrait que tout signe physique ou verbal d'appartenance à une religion doive rester du domaine du privé est une grave remise en cause de la liberté de conscience, voire même de l'honnêteté intellectuelle vis-à-vis des gens à qui l'on parle. Il est toujours plus sain de comprendre pourquoi les gens ont telle ou telle vision sur le monde. Les « clans secrets » (franc-maçons, sectes…) ne sont pas des bonnes pratiques à multiplier.

#572 : « cette négation [de l'éthique, induite par la négation du droit des croyants à exprimer leur foi], qui prélude à une condition d'anarchie morale dont la conséquence évidente est la mainmise du plus fort sur le faible, ne peut être admise par aucune forme de pluralisme légitime, car elle mine les bases même de la coexistence humaine.

Il est plus important de porter un message de libération que de dénoncer la captivité
#159 du compendium de la DSE : « L'engagement pastoral se développe dans une double direction, d'annonce du fondement chrétien des droits de l'homme et de dénonciation des violations de ces droits : en tout cas, l'annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son véritable fondement et la force de la motivation la plus haute »

En ce sens, en évitant de choquer sur la forme, la ministre a peut-être pu faire passer avec plus de réussite des messages sur les droits des femmes. Elle a ainsi rencontré une association de défense des femmes lors de sa visite, accompagnée de Valérie Trierweiler. Evitant des polémiques inutiles sur le port du voile, elle a peut-être pu montrer que la dignité des femmes ne s'arrête pas au fait de ne pas porter de voile, et être plus écoutée sur d'autres points.

On peut plutôt se féliciter qu'au moins certains ministres reconnaissent un « ordre supérieur »
laicite2
#566 : « Les tâches de responsabilité dans les institutions sociales et politiques exigent un engagement sérieux [qui sache mettre en évidence] la nécessité absolue d'une qualification morale de la vie sociale et politique. Une attention inadéquate à la dimension morale conduit à la déshumanisation de la vie en société et des institutions sociales et politiques en consolidant les structures de péché »

Il est assez heureux qu'on puisse avoir parmi nos dirigeants au moins quelques individus qui non seulement croient en Dieu, mais également puisse montrer que cette croyance ne contredit pas leur engagement politique, voire la nourrit. Robert Schumann était le modèle du genre, qu'on a vu porter la croix lors d'un chemin de croix alors qu'il était ministre de l'intérieur. Un procès en canonisation est d'ailleurs en cours, dont le sens est de montrer qu'on peut être saint en politique.

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Bref, même s'il faut se garder d'interprétations trop hâtives, j'aurais plutôt tendance à prendre le geste de Najat Vallaud Belkacem comme un signe d'espérance d'une relation plus apaisée avec les religions, au moins de sa part. Espérons que d'autres ministres pourront comprendre avec elle que les religions, sans s'opposer au pouvoir, donnent du sens à l'action tant des hommes politiques, que de la vie de leurs concitoyens.

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