Il y a quelques jours, Najat
Vallaud-Belkacem a été prise en photo en Tunisie portant … un
voile. L'image a pu surprendre, et a en tout cas soulevé quelques
critiques plus ou moins amènes. Il est vrai que pour la ministre des
droits des femmes, il fallait s'attendre à ce que ce geste soit
interprété. Globalement toutes les interprétations sont négatives
(renforce la domination masculine, atteinte à la laïcité,...),
mais personne ne semble s'être interrogé sur le sens et les raisons
de ce port du voile. La ministre elle-même ne l'a pas non plus
commenté donc il nous faut exercer notre imagination.
Notons pour commencer que Najat Vallaud
Belkacem, bien que très discrète sur le sujet, est présentée dans
quelques articles de presse comme « musulmane non
pratiquante ». Elle a la double nationalité franco-marocaine.
Au-delà d'une marque de politesse de s'adapter aux us et coutumes du
pays dans lequel elle se rend, il n'est pas impossible que ce geste
revête également pour elle un sens religieux. Sens qu'elle
éviterait en France pour ne pas choquer la majorité de la
population qui ne se reconnaîtrait pas dans ce choix, mais qui, plus
normal au Maroc, l'aurait moins embarrassée dans le contexte de ce
voyage.
Voyons ce que le magistère nous donne
pour analyser cette affaire. Il faut bien sûr lire assez largement
les considérations du magistère et accepter d'inclure les autres
religions dans ce qu'il dit du lien entre foi et politique. En effet,
dans l'introduction du compendium, le président du conseil
pontifical « Justice et Paix » nous dit qu' « il
est intéressant par ailleurs, de remarquer que de nombreux éléments
recueillis ici sont partagés par les autres Eglises et Communautés
ecclésiales, ainsi que par d'autres religions. Le texte a été
élaboré de façon à servir non seulement ad intra,
c'est-à-dire parmi les catholiques, mais aussi ad extra. »
Rien n'interdit le port du voile à
des femmes politiques
#422 : « Les
justes limites à l'exercice de la liberté religieuse doivent être
déterminées pour chaque situation sociale avec la prudence
politique, selon les exigences du bien commun, et ratifiées par
l'autorité civile à travers des normes juridiques conformes à
l'ordre moral »
Si une loi limite
le port de signe distinctif religieux, il faut ainsi qu'elle se base
sur les exigences du bien commun. Il y a une différence entre
interdire le port de la burqa et du simple voile. Ou d'interdire le
port de signes religieux à tous les agents de la fonction publique
ou seulement ceux au contact des enfants. De même, une conception
« laïcarde » de la laïcité qui voudrait que tout signe
physique ou verbal d'appartenance à une religion doive rester du
domaine du privé est une grave remise en cause de la liberté de
conscience, voire même de l'honnêteté intellectuelle vis-à-vis
des gens à qui l'on parle. Il est toujours plus sain de comprendre pourquoi les gens ont telle ou telle vision sur le monde. Les « clans
secrets » (franc-maçons, sectes…) ne sont pas des bonnes
pratiques à multiplier.
#572 :
« cette négation [de l'éthique, induite par la négation du
droit des croyants à exprimer leur foi], qui prélude à une
condition d'anarchie morale dont la conséquence évidente est la
mainmise du plus fort sur le faible, ne peut être admise par aucune
forme de pluralisme légitime, car elle mine les bases même de la
coexistence humaine.
Il est plus important de porter un
message de libération que de dénoncer la captivité
#159 du compendium de la DSE :
« L'engagement pastoral se développe dans une double
direction, d'annonce du fondement chrétien des droits de l'homme et
de dénonciation des violations de ces droits : en tout cas,
l'annonce est toujours plus importante que la dénonciation, et
celle-ci ne peut faire abstraction de celle-là qui lui donne son
véritable fondement et la force de la motivation la plus haute »
En ce sens, en évitant de choquer sur
la forme, la ministre a peut-être pu faire passer avec plus de
réussite des messages sur les droits des femmes. Elle a ainsi
rencontré une association de défense des femmes lors de sa visite,
accompagnée de Valérie Trierweiler. Evitant des polémiques
inutiles sur le port du voile, elle a peut-être pu montrer que la
dignité des femmes ne s'arrête pas au fait de ne pas porter de
voile, et être plus écoutée sur d'autres points.
On peut plutôt se féliciter qu'au
moins certains ministres reconnaissent un « ordre supérieur »
#566 : « Les tâches de
responsabilité dans les institutions sociales et politiques exigent
un engagement sérieux [qui sache mettre en évidence] la nécessité
absolue d'une qualification morale de la vie sociale et politique.
Une attention inadéquate à la dimension morale conduit à la
déshumanisation de la vie en société et des institutions sociales
et politiques en consolidant les structures de péché »
Il est assez heureux qu'on puisse avoir
parmi nos dirigeants au moins quelques individus qui non seulement
croient en Dieu, mais également puisse montrer que cette croyance ne
contredit pas leur engagement politique, voire la nourrit. Robert
Schumann était le modèle du genre, qu'on a vu porter la croix lors
d'un chemin de croix alors qu'il était ministre de l'intérieur. Un
procès en canonisation est d'ailleurs en cours, dont le sens est de
montrer qu'on peut être saint en politique.
* * *
Bref, même s'il faut se garder d'interprétations trop hâtives, j'aurais plutôt tendance à
prendre le geste de Najat Vallaud Belkacem comme un signe d'espérance
d'une relation plus apaisée avec les religions, au moins de sa part.
Espérons que d'autres ministres pourront comprendre avec elle que
les religions, sans s'opposer au pouvoir, donnent du sens à l'action
tant des hommes politiques, que de la vie de leurs concitoyens.
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