mardi 16 avril 2013

Publier le patrimoine des ministres suffit-il à moraliser la vie politique ?


Hier, suite à l'affaire du compte suisse de M. Cahuzac, les ministres du gouvernement Ayrault ont vu leur patrimoine publié sur le site internet du gouvernement. Certains ont profité de l'occasion pour faire de la comm'. Ainsi, Christiane Taubira a-t-elle insisté sur le fait qu'elle possédait 3 vélos, avec le but probablement de montrer sa simplicité et sa proximité au peuple français. Je laisse à d'autres les commentaires sur l'étonnante faiblesse de certains patrimoines ou sur l'impressionnant montant de certains autres et leur compatibilité ou non avec un engagement au sein du parti socialiste. On peut en revanche s'intéresser au principe même d'une déclaration de patrimoine. Est-il normal de demander aux ministres de dévoiler leurs patrimoines pour prouver leur moralité ? Est-ce que ça suffit ?


Les hommes politiques doivent être de bons gestionnaires de biens
Le magistère ne mâche pas ses mots : « L'amour pour les pauvres est certainement incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste » (#184). S'approprier des richesses en se soustrayant à l'impôt, c'est oublier qu'on n'est que gestionnaire de nos richesses, et c'est se couper de l'amour des plus démunis.
Ceci étant dit, le message de l'Eglise porte plus d'attention à la manière dont on utilise les biens qu'à leur montant... On attend d'ailleurs surtout des hommes politiques quand on vote pour eux qu'ils soient de bons gestionnaires. Il n'est donc pas forcément gênant qu'ils aient de grandes propriétés, une grande richesse pouvant (hors cas d'argent mal acquis) être le signe d'une capacité à créer de la valeur ajoutée (rappelons nous la parabole des talents – Mt 25,14 – : celui qui a réussi à fructifier les 5 talents et à les doubler rentre dans la joie de son maître et en plus reçoit le talent du serviteur paresseux). Et si on y réfléchit, c'est bien ça, le rôle d'un ministre : réussir à exploiter une richesse (le budget de l'Etat), pour en extraire une grande valeur ajoutée via une politique publique intelligente.
Encore faut-il à titre privé ne pas oublier que l'argent n'est qu'un moyen (pour poursuivre le bien commun), et pas un but. C'est le principe de la destination universelle des biens.
« Les richesses remplissent leur fonction de service à l'homme quand elles sont destinées à produire des bénéfices pour les autres et pour la société […] Le mal consiste dans l'attachement démesuré aux richesses […] Le riche n'est qu'un administrateur de ce qu'il possède » (#329 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise)
J'aurais donc été plus intéressé de connaître les flux d'argents des ministres (quels investissements et achats faits dans les 5 dernières années) que de connaître le patrimoine aujourd'hui.

Pourquoi parler de moralisation de la vie politique ?
Faut-il moraliser la vie politique juste pour éviter des corruptions ou des malversations ?
Bien sûr, on pense tout de suite au rôle d'exemplarité du monde politique. «  Ceux qui exercent des responsabilités politiques ne doivent pas oublier la dimension morale de la représentation qui consiste dans l'engagement à partager le sort du peuple » (#410 du comendium).
Peut-on alors s'accomoder d'un homme politique qui n'ait aucune morale mais respecte néanmoins la loi ? Le magistère est beaucoup plus « intrusif » que ça et pose comme condition que chacun développe profondément tout un ensemble de principes, faute de quoi l'Etat ne serait qu'un outil d'optimisation des contraintes dont l'action n'aurait pas de « sens » :
« Pour rendre la communauté publique vraiment humaine, rien n'est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, du dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l'autorité publique » (#392 du compendium) « Si le septicisme venait à mettre en doute jusqu'aux principes fondamentaux de la loi morale, l'ordonnancement étatique [se réduirait] à un pur mécanisme de régulation pragmatique d'intérêts différents et opposés » (#397)
Le magistère va plus loin : « L'autorité doit se laisser guider par la loi morale : toute sa dignité dérive de son exercice dans le domaine de l'ordre moral, lequel à son tour repose sur Dieu, son principe et sa fin […] Cet ordre ne peut s'édifier que sur Dieu ; séparé de Dieu, il se désintègre. C'est précisément de cet ordre que l'autorité tire sa force impérative et sa légitimité morale, non pas de l'arbitraire ou de la volonté de puissance » (#396, voir aussi #577)
Difficile de mettre la foi en Dieu dans les règles d'accession aux fonctions politiques d'envergure... D'où les appels fréquents de l'Eglise à ce que les chrétiens s'engagent en politique. Car en dehors de Dieu, l'unité du politique est impossible. Les chrétiens ont donc tout leur rôle à ces postes.

Plutôt qu'une loi supplémentaire, cherchons la conversion des hommes
La transparence des ministres sur leur situation financière est vraisemblablement une bonne chose, et le magistère le dit lui-même « [Dans le domaine de la communication publique et de l'économie], l'usage sans scrupules de l'argent fait naître des interrogations toujours plus pressantes qui renvoient nécessairement à un besoin de transparence et d'honnêteté dans l'action personnelle et sociale » (#198). On peut regretter qu'elle s'arrête à une photo le jour J difficile à interpréter plutôt qu'à une déclaration visant à donner les principes suivis par les ministres pour l'utilisation de ces richesses dans le but de poursuivre le bien commun.
Mais ce qu'il nous faut, c'est une conversion des hommes, pas une loi de plus. « Les Pères de l'Eglise insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences des croyants, plus que sur les exigences de changement des structures sociales et politiques de leurs époque, en pressant ceux qui s'adonnent à une activité économique et possèdent des biens de se considérer comme des administrateurs de ce que Dieu leur a confié. » (#328) « En ce qui concerne la question sociale, on ne peut accepter la perspective naïve qu'il pourrait exister pour nous, face aux grands défis de notre temps, une formule magique. Non, ce n'est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude qu'elle nous inspire : Je suis avec vous ! Il ne s'agit pas alors d'inventer un ''nouveau programme''. Le programme existe déjà : c'est celui de toujours, tiré de l'Evangile et de la Tradition vivante […] le Christ lui-même. » (#577)
Bref, intéressons-nous à la vie spirituelle de nos hommes politiques. Et engageons-nous en politique nous-mêmes si ça nous est possible.



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