lundi 25 mars 2013

Faut-il résister ?


 Le texte introductif à la messe des rameaux terminait sur une phrase de circonstance. Aux Pharisiens qui demandaient à Jésus de faire taire les foules qui le louaient, il répond :

« S'ils se taisent, les pierres crieront » Luc 19,40

     La formule est superbe, elle parle toute seule. Si le langage de l'évangile est étouffé, il ressort plus éclatant encore. L'annonce de l'évangile a beau être notre mission, si nous faiblissons, Dieu continuera par d'autres voies. Je suis intimement convaincu que Dieu est là, posant son regard d'amour sur notre pays. La loi autorisant le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels passera ou ne passera pas. Mais l'amour de Dieu, lui, nous suivra jusqu'à la fin des temps. Si l'humanité s'égare momentanément, la Providence saura la retrouver un peu plus loin. On peut juste regretter que parfois l'humanité commence par s'éloigner pour mieux se rapprocher de Dieu après...



     En attendant, l'après-midi n'a pas été marquée par un silence trop pesant, rue de la Grande Armée à Paris. Peut-être étions-nous déjà les premières pierres qui criaient pour que le message passé sous silence soit entendu. D'autres suivront.
     On a beaucoup parlé des échauffourées en marge de la manif. Sans surprise, les pro s'offusquent du comportement de certains manifestants (cf #285 du compendium de la doctrine sociale de l'Eglise : « les croyants devront se distinguer [le dimanche] par leur modération, en évitant tous les excès et les violences qui caractérisent souvent les divertissements de masse. Le jour du Seigneur doit toujours être vécu comme le jour de la libération »). Et les anti s'offusquent des actions violentes des CRS.
L'offuscation est un sentiment à la fois sain et parfois un peu imparfait. Le cardinal Ratzinger comprenait en effet la béatitude « Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés » comme un encouragement à chercher et regretter dans le monde les sources d'injustice pour pouvoir les combattre, et donc rassasier notre soif de justice. A l'inverse, l'Eglise garde toujours une approche prudente sur la justice et notamment sa mise en œuvre trop mécanique. « Seule, la justice ne suffit pas. Elle peut même en arriver à se nier elle-même, si elle ne s'ouvre pas à cette force plus profonde qu'est l'amour » (#203 du compendium). Bref, une chose est sûre : compter les points n'est pas une bonne approche pour l'analyse de cette manifestation !


     Ceci étant dit, le magistère nous donne quelques clés de lecture sur la résistance.

     Pour commencer, le magistère signale (#398) que « si la loi est en contraste avec la raison, on l'appelle loi inique ; dans ce cas, toutefois, elle cesse d'être loi et devient plutôt un acte de violence »

    Tout en disant que la résistance passive est préférable à la violence, le magistère donne ensuite les conditions d'exercice d'un droit de résistance (éventuellement violent voire armé) :
  • en cas de violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux
  • après avoir épuisé tous les autres recours
  • sans provoquer des désordres pires (ce qui est une restriction claire à l'usage de violence ou d'armes dans l'exercice d'un droit de résistance)
  • s'il y a un espoir fondé de réussite
  • s'il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures
     On peut penser que ces clés de lecture sont donc aussi intéressantes pour des cas où une résistance armée n'est pas nécessaire, mais où une résistance doit être montée, pour savoir si cette résistance est alors légitime ou non. (le respect de l'autorité légitime étant sinon la norme obligatoire pour les chrétiens commeon a déjà pu le dire ici)
     En faisant cette petite lecture, on peut penser, en vrac :
  • qu'aller provoquer un CRS en l'insultant ou en tapant sur son bouclier n'apporte pas d'espoirs fondés de réussite de faire tomber la loi Taubira.
  • Qu'envoyer des lacrimogènes sur des poussettes est susceptible de provoquer des désordres pires que quelques dizaines de personnes qui rentrent sur les Champs-Elysées.
  • Que se voir refuser les Champs-Elysées n'est pas en soi une violation grave, certaine et prolongée des droits fondamentaux et qu'il n'est pas légitime de résister à cette demande des autorités.

     En continuant la lecture, on voit que pour contrer ce qui leur apparaît comme un risque d'une violation certaine, grave et prolongée de droits fondamentaux, les organisateurs de la manif pour tous ont épuisé tous les autres recours (CESE, manifestations, meetings, happenings, contentieux administratifs, ...) et qu'ils sont donc aujourd'hui et depuis les premières manifestations dans une phase de « résistance ». Leurs multiples appels, avant et lors de la manifestation, pour rester calme, pour éviter les débordements, pour aimer les homosexuels, et pour bannir toute violence de cette action, ont pour but d'éviter de créer des désordres pires que ceux qu'ils veulent combattre. Leurs actions d'envergure ont un espoir fondé de réussite même si cet espoir n'est pas une certitude. Et je crois qu'ils ont tenté toutes les bonnes solutions raisonnablement envisageables... Je ne crois pas me tromper en disant que l'un ou l'autre ont lu le compendium et en ont fait leur miel... !

     Après une condamnation générale de la violence (#496, qui semble contradictoire avec les critères plus hauts qui l'autorisent sous conditions strictes), le magistère confirme que « Le monde actuel a lui aussi besoin du témoignage de prophètes non armés, hélas objet de railleries à toute époque ». C'est le sens je pense de l'initiative heureuse et qui nourrit mon espérance, de Tugdual Derville, Pierre-Yves Gomez et Gilles Hériard qui lancent un mouvement « Ecologie Humaine » qui entend développer « tout homme et tout l'homme » (ça non plus, ça ne sort pas de nulle part!). On pourra les aider à surmonter les railleries et surtout à faire avancer le monde sur un chemin d'avenir !




     Pour finir et pour chacun d'entre nous, un chemin pour les ultimes jours qui nous séparent de Pâques dans notre relation au gouvernement actuel : (#517) « L'Eglise enseigne qu'une paix véritable n'est possible que par le pardon et la réconciliation. […] Le poids du passé, qui ne peut pas être oublié, ne peut être accepté qu'en présence d'un pardon réciproquement offert et reçu : il s'agit d'un parcours long et difficile, mais pas impossible. Le pardon réciproque ne doit pas annuler les exigences de la justice ni, encore moins, barrer le chemin qui conduit à la vérité : justice et vérité représentent plutôt les conditions concrètes de la réconciliation »... Bref, un peu de travail des deux côtés. La paix véritable avec le gouvernement, on en a besoin dans cette période difficile sur le plan écologique, économique, social. On peut commencer,  tout en continuant à rechercher la vérité avec lui. Le gouvernement nous rattrapera tôt ou tard sur ce chemin si on l'aide à y rentrer.

jeudi 14 mars 2013

Idée de boîte n°3 : certifier les compétences des pseudos sur internet


"Notre époque requiert une intense activité éducative 
et un engagement de la part de tous, afin que 
la recherche de la vérité, qui ne se réduit pas à 
l'ensemble ou à une seule des diverses opinions, 
soit promue dans chaque milieu et prévale sur 
toute tentative d'en relativiser les exigences 
ou de lui porter atteinte."

Troisième billet sur des idées de boîte à monter qui matérialisent des concepts de la DSE.

Il s'agirait de monter un service internet qui permettrait d'attacher à des pseudonymes ou des identités sur internet des compétences particulières.
  • J'ai un diplôme d'ingénieur
  • J'ai vécu 6 ans en Chine
  • Je m'occupe d'enfants dans le cadre de mon boulot
  • Je suis médecin
  • Je suis un pro de la DSE
  • J'ai déjà monté une boîte
Toutes ces caractéristiques permettent d'être plus à même de s'exprimer sur certains sujets en particulier lors d'un débat sur internet. Ou permettent aux autres internautes de nous faire confiance, dans la foultitude d'avis qui peuvent être donnés par des personnes de bonnes volonté, mais dont tous n'ont pas un avis éclairé par des connaissances ou compétences particulières.

Lié à Facebook, Twitter, Google+, et aux autres grandes plateformes permettant d'échanger des opinions, le service se matérialiserait comme un petit logo à côté du nom des gens partout où ils utilisent ces identités (sur ces réseaux, mais sur tout autre site où ces identités peuvent être utilisées : champ discussion des blogs sur lesquels on peut s'identifier par facebook, …). En faisant passer la souris sur le petit logo, un texte apparaîtrait et montrerait les compétences certifiées.

Pour certifier les compétences, les preuves devraient être envoyées à cette boîte qui devrait donc savoir gérer avec grand sérieux les aspects confidentiels du pseudonymat.

Toutes les opinions ne se valent pas. Or aujourd'hui, pour départager les opinions sur internet, seul compte le nombre de « like » ou de « +1 », ou de vote des autres internautes. Tout le monde peut s'improviser expert en éducation des enfants, en choix de restaurant, ou critique littéraire... Ca ne rend pas honneur à la vérité. Certifier les compétences permettrait de résoudre de ce problème !

Pour gagner de l'argent, la boîte pourrait se faire payer un petit droit à la certification. Et après une phase de montée en puissance, facturer le service aux Facebook, Google+ et autres Twitter.

Côté principes de la DSE, sur une échelle de 0 à 5, au doigt mouillé : 
Subsidiarité : 3/5
Participation : 4/5
Solidarité : 1/5
Bien commun : 3/5
Destination Universelle des Biens : 3/5




dimanche 10 mars 2013

homme = femme ? France = Irlande ?


Depuis quelques mois, le concept d'égalité nous est sorti à toutes les sauces. Égalité entre couples homosexuels et hétérosexuels, égalité homme-femme, égalité des enfants devant le droit d'avoir un père et une mère, égalité devant l'impôt, égalité des chances, égalité de traitement entre école privée et publique, égalité territoriale, égalité de l'accès au numérique, … et égalité pour le match de rugby France-Irlande. Et il faut bien admettre qu'outre le grand principe que “c'est bien de renforcer l'égalité”, ce mot est ressorti parfois un peu trop à la légère pour appuyer une position qu'on tient par ailleurs pour des raisons qui sont également parfois égoïstes, à gauche comme à droite. Ce qui peut vouloir dire deux choses : les gens sont malhonnêtes ou le concept est trop flou et trop interprétable.
Le mot égalité/inégalité ressort 31 fois dans le compendium. Voici ce que l'Eglise nous en dit.
Fondement et forme de l'égalité entre tous les hommes
« Étant donné que sur le visage de tout homme resplendit quelque chose de la gloire de Dieu, la dignité de chaque homme devant Dieu constitue le fondement de la dignité de l'homme devant les autres hommes. En outre, c'est aussi le fondement ultime de l'égalité [...] entre les hommes » (#144 du compendium)
C'est toujours à cette égalité que se ramène le magistère. Elle se décline de nombreuses façons : égalité homme-femme (#146), égalité handicapé-valide, égalité prisonnier-homme libre... L'égalité ne se conçoit alors pas d'abord comme une égalité dans les droits (le prisonnier ne peut pas sortir de prison), ni même comme une égalité dans l'accès à certaines fonctions (les handicapés n'ont pas de quotas de présence au gouvernement, ni les condamnés à des peines de prison), mais avant tout comme une égalité de dignité. Égalité dont découlent certains droits (dits « droits de l'homme », et que l'Eglise définit plus restrictivement que ne le fait la société) qui sont adaptés aux différences de chacun et subordonnés à la recherche du bien commun.
L'égalité homme-femme, en particulier, se fonde sur une relation de diversité et de complémentarité réciproque avec l'homme.
Limites du principe d'égalité :
Le magistère signale des limites à l'exercice d'égalité qui n'est pas un absolu (seul l'amour est absolu. Même les principes de la DSE se heurtent les uns les autres : solidarité vs subsidiarité, ...) :
  • « Les plus favorisés doivent renoncer à certains de leurs droits pour mettre avec plus de libéralité leurs biens au service des autres. » Ils ne peuvent notamment pas demander l'égalité au détriment du bien commun. (#158)
  • On ne doit pas non plus, sous prétexte d'égalité, annuler l'esprit de liberté et d'initiative. Les reproches faits à des systèmes instaurant de fait un certain assistanat et qui enlèvent toute incitation à créer soi-même de la richesse pour profiter de celle créée par nos frères sont légitimes et mettent une limite au principe d'égalité. (#187)
  • L'égalité se fondant sur l'égale dignité des hommes, il n'existe pas d'égalité naturelle entre structures, entre organisations, entre choix de vie, ou entre opinions. Pour ces « choses », c'est une analyse sur le fond qui doit avoir lieu. En particulier, « La mise éventuelle sur un pied d'égalité de la famille et des « unions de fait » au plan juridique se traduirait par un discrédit du modèle de famille » (#227), puisque la stabilité de la famille est profondément inscrite dans son fonctionnement.
Remèdes contre l'inégalité
Le magistère signale deux remèdes contre l'inégalité :
- « la redistribution des revenus de l'impôt doit suivre les principes de solidarité, d'égalité, de mise en valeur des talents, et accorder une grande attention au soutien des familles. » (#355)
- La remise des dettes, qui était réalisée dans le monde juif lors des années sabbatiques (tous les 7 ans) ou jubilaires (tous les 50 ans), et permettait de rapporter les questions de propriété à leur signification profonde (on ne fait qu'administrer les biens qui nous sont confiés.) (#24)


Ceci nous donne donc des clés de lecture sur les sujets en introduction :
Egalité entre couples homosexuels et hétérosexuels,
Pas d'égalité naturelle entre choix de vie ou entre structures humaines. Le principe d'égalité ne s'applique pas, et il faut faire une analyse sur le fond (qui n'est pas l'objet de cet article, … mais d'un autre)
égalité homme-femme,
L'égalité est réelle et profonde et n'est ni agrandie ni amoindrie par les choix politiques passés ou à venir (incitation à un congé parental du « 2° parent », égalité salariale, proportion minimale à certains postes, …). L'égalité de traitement à situation égale découle néanmoins de cette égalité, et impose peut-être pour changer les mentalités et les rapprocher d'une vision juste de passer temporairement par des phases restrictives avec quelques effets bords pas très heureux qu'il faut néanmoins essayer de limiter (proportion minimale à certains postes qui oblige parfois à favoriser une moins bonne candidate que le meilleur candidat). En revanche, appliquer à l'aveugle une politique d'égalité sans réfléchir à la différence entre une femme et un homme est profondément bancal. Cette partie est régulièrement escamotée dans le discours ambiant et dans certaines communications gouvernementales... Et l'annonce qu'il sera imposé aux enseignants de « déconstruire les stéréotypes » ne peut qu'interroger tant que nous ne verrons pas le contenu des programmes correspondants.
égalité des enfants devant le droit d'avoir un père et une mère,
Là, on rentre dans un droit de l'individu (l'enfant) et plus d'une structure (l'union de deux adultes), et la question est de savoir si c'est un droit de l'homme que d'avoir un père et une mère. L'éducation fait partie des droits que l'Eglise reconnaît. Elle rajoute « #242 : Dans l'éducation des enfants, le rôle maternel et le rôle paternel sont tout aussi nécessaires. ». On touche effectivement à l'égalité entre enfants, et l'argument est donc utilisable même si c'est plus sur le fond que sur le mot même d'égalité que je pense utile de travailler.
égalité devant l'impôt,
La propriété est un concept reconnu par l'Eglise comme nécessaire, mais n'est pas reconnu comme un droit indiscutable (voir notamment #177 si vous voulez voir un magistère remonté). Elle est subordonné au bien commun, et l'impôt participe à la redistribution et à l'égalité. Il n'y a donc pas d'égalité devant l'impôt.
égalité des chances,
Pour tout ce qui concerne les droits de l'homme (éducation, accès à l'eau, au logement, …) , l'égalité est effectivement un bon critère d'entrée pour mettre en œuvre des politiques publiques. Au-delà, et quand on en vient à parler de réussite scolaire, d'ascenseur social, d'accès à des postes à responsabilité qu'on peut qualifier de luxe par opposition aux droits de première nécessité, c'est plus dans le principe de participation (chacun doit participer dans la société à un niveau qui lui correspond le mieux possible) que dans le principe d'égalité qu'il faut rechercher le « driver » de l'action publique. Si une société sous-emploie des gens qui pourraient mieux déployer leur potentiel, c'est autant un problème si ces personnes sont des femmes que si ce sont des hommes. Ou des roux que des non-roux. Ou des immigrés que des Français pure souche. Et ce n'est pas en moyennant le problème en évitant qu'un groupe catégoriel ne puisse faire valoir son indignation qu'on résout le problème.
égalité de traitement entre école privée et publique,
La liberté religieuse, notamment dans l'éducation, est un droit reconnu par l'Eglise. Droit égoïste, diront certains. Droit profond et primaire, répondra l'Eglise et répondront les chrétiens qui demandent également les subsides nécessaire au fonctionnement de ces écoles. Les places d'école dans les établissements privés n'ont pas à coûter plus cher à la société, mais pas moins. Là encore, en revanche, il ne s'agit pas d'un principe d'égalité, puisqu'on parle de structures (école privée vs école publique). Il s'agit du fait de rendre applicable le concept d'école libre.
égalité territoriale, égalité de l'accès au numérique
On est loin de l'égalité entre hommes. Mais ça ne rend pas le sujet inutile pour autant. Un développement harmonieux du territoire peut permettre une meilleure utilisation des moyens, voire même un certain retour à des modes de vie simples.
et égalité pour le match de rugby France-Irlande...
Les hommes sont tous d'égale dignité... Mais peut-être les Français un peu plus que les autres, on aurait dû gagner !

samedi 26 janvier 2013

Faut-il instaurer un droit au travail opposable ?



Les chiffres du chômage sont encore en légère hausse sur le mois de décembre 2012. Depuis 20 mois, chaque mois apporte sa mauvaise nouvelle. François Hollande a annoncé qu'il souhaitait inverser la courbe du chômage d'ici la fin de l'année, et nous verrons ce que la conjoncture économique nous réserve. Mais dans l'attente, il reste 3.132.900 personnes au chômage. Difficile de se rendre compte du nombre que ça fait, d'imaginer ce que ça fait. Plus de trois fois la manif pour tous (plus de 10 fois selon la police!). Imaginez ne serait-ce que trois fois le nombre de personnes de la manif pour tous qui se réveillent le matin, chacun dans leur appartement, se disent qu'ils n'ont pas de boulot et qu'ils ne savent pas ce qu'ils vont faire de leur journée. Arrêtons nous sur la vie de ces personnes. N'ont-elles pas droit au travail ?
*  *  *
Pourquoi souhaite-t-on que tout le monde travaille ?
Serait-ce juste par égoïsme qu'on souhaiterait que tout le monde travaille ? Je ne te donnerai pas de pain si tu ne l'as pas mérité, si tu n'as rien à m'offrir ? Dans le Notre Père, pas de petite astérisque au dessus du « Donne nous aujourd'hui notre pain de ce jour* » (*sauf ceux qui n'ont pas fait d'efforts suffisants pour se trouver un job). Vous imaginez le genre... Un passage de Saint Paul pourrait pourtant être interprété en ce sens :« Nous vous engageons, frères, à faire encore des progrès en mettant votre honneur à […] travailler de vos mains, comme nous vous l'avons ordonné » (1 Th 4, 11)


Mais on est loin de l'égoïsme, Saint Paul nous exhorte simplement à participer au travail nécessaire pour la collectivité... Quelques lignes plus tard : « Nous vous y engageons, frères, reprenez les désordonnés, encouragez les craintifs, soutenez les faibles et ayez de la patience envers tous. » (1 Th 5, 14)
Non, il s'agit bel et bien de rechercher le bien de nos frères qui manquent de travail. Saint Paul (et l'Eglise!) veut notre bien en nous exhortant à travailler, à participer à la vie de la communauté. C'est le rôle qui nous a été confié dès la Genèse : l'homme est placé sur terre « pour cultiver le jardin ». « Le travail est un droit fondamental et c'est un bien pour l'homme » (#287 du compendium) sans travail pas de participation, pas de possibilité d'accéder à la propriété, de fonder une famille, de contribuer au bien commun. Toutes sortes de travaux sont possibles : rémunéré ou non (élever un enfant, engagement associatif), mais il nous faut participer au bien commun. Dans la parabole des ouvriers de la dernière heure, on voit bien que le maître lui-même voit le bien pour l'homme avant de voir le bien pour lui. Il donne la même chose à celui qui n'a travaillé qu'à la dernière heure et à celui qui a travaillé toute la journée. Il donne en fonction des besoins des hommes, pas en fonction de ce qu'il reçoit d'eux.

Pour quoi ?
Mais alors quels sont les fruits du travail ? Maintenant qu'on sait pourquoi on travaille, ça sert à quoi de travailler ?
Pour commencer, le travail participe à la pleine dignité de l'homme. Dans le travail est inscrit la ressemblance de Dieu et de l'homme, Créateur et co-créateur. Travailler et modeler le monde, c'est atteindre cette pleine ressemblance. Jésus lui-même a travaillé comme charpentier, alors qu'il aurait pu multiplier les pains pour manger. Il nous a ainsi montré que le travail humain est à vocation divine !
Le travail transforme le monde et y fait apparaître la perfection. « l'activité humaine d'enrichissement et de transformation de l'univers peut et doit faire apparaître les perfections qui y sont cachées » (#262). Si on travaille, c'est tout simplement pour contribuer au bien commun et pour rendre le monde plus beau, en exploiter les richesses. C'est utile pour le travailleur qui y trouve un sens à sa vie, et c'est utile pour la société qui profite du monde plus beau ainsi créé. « Le Chrétien est appelé à travailler non seulement pour se procurer du pain, mais aussi par sollicitude envers le prochain plus pauvre ». (#265)
Enfin, « le travail humain possède aussi une dimension sociale intrinsèque » (#273). Avoir un travail permet de vivre en société et de participer à la vie du monde qui nous entoure. L'homme seul loupe une face importante de la condition d'être humain. Un chrétien seul est un chrétien en danger... Et ça vaut aussi pour les non-chrétiens, dans un autre contexte !

Comment ?
Le magistère n'y va pas avec le dos de la cuillère, il répond au « quoi ? » et au « qui ? » 
Quoi : « le plein emploi est donc un objectif nécessaire pour tout système économique tendant à la justice et au bien commun. Une société […] où les mesures de politique économique ne permettent pas aux travailleurs d'atteindre des niveaux d'emploi satisfaisants ne peut ni obtenir sa légitimation éthique ni assurer la paix sociale » (#288),
Qui : Etat et monde économique : « Les problèmes de l'emploi interpellent les responsabilités de l'Etat auquel il revient de promouvoir des politiques actives de travail, aptes à favoriser la création d'opportunités de travail sur le territoire national, en stimulant à cette fin le monde productif »
Reste le « comment ? ». Et ça, ce n'est pas vraiment le rôle de l'Eglise de dire ça. Quelques petits indices tout de même : développer le secteur tertiaire (« les initiatives de ce qu'on appelle le secteur tertiaire constituent une occasion toujours plus importante de développement du travail et de l'économie », #293), réaffirmer le rôle de l'homme arbitre au-dessus du déterminisme : « le facteur décisif et l'arbitre de cette phase complexe de changement sont encore une fois l'homme, qui doit rester le véritable acteur de son travail »...
Ca reste bien vague à ce stade, mais c'est là que les hommes, et en particulier les chrétiens, entrent en jeu !
Instaurer un droit au travail opposable, c'est réussir à trouver un emploi pour chacun, donc à insuffler des politiques publiques qui favorisent l'emploi, peut-être en le taxant moins pour moins payer d'indemnités chômage en contrepartie. Je suis assez surpris qu'un acteur économique ne puisse pas créer un emploi en contrepartie d'une subvention à hauteur des indemnités chômage que cet emploi éviterait d'avoir à payer... A défaut, peut-être faut-il inciter avec plus ou moins d'insistance pour que les chômeurs se trouvent une « activité humaine », par exemple à titre de bénévole dans des associations pour continuer à transformer le monde, et avoir des liens avec la société qui pourraient en plus les aider à se former ou à trouver un emploi.
Au niveau des « forces vives » de la Nation, l'intuition que « le travail est plus doux quand il est orienté vers le bien commun » peut peut-être développer de nouvelles créativités. L'exemple cité dans mon dernier billet est un bon exemple du « comment ». En effet, dès la Genèse, on voit que le travail ne devient difficile et pénible que lorsque l'homme s'écarte de Dieu.
*  *  *
La transformation de l'économie pour trouver à chacun une place est un chantier enthousiasmant que les Chrétiens doivent prendre à bras le corps pour éviter de se faire balloter par le marché. Encourageons-nous les uns les autres pour que nos énergies créatrices se transforment en emplois ! Soutenons le tissu PME en le finançant !

mardi 22 janvier 2013

Idée de boîte n°2 : magasin gratuit

Deuxième article dans la série des idées de boîte... 
Et pour celui-là, je ne fais que m'émerveiller que quelqu'un ait eu l'idée avant moi. 

" Magasin pour rien "

Le concept est simple : un magasin dans lequel tout est à donner. Rien à payer, il suffit de venir se servir. Pas plus de trois objets par jour et par personne... Si on veut, on peut donner de l'argent dans la caisse de solidarité du magasin. Et si on a des choses à donner, on peut également poser des choses dans le magasin qui seront prises par d'autres. Et tout ça existe déjà, ça marche, à Mulhouse. Ca existe également en ligne : http://www.toutdonner.com/ 

Alors en quoi tout ça nous rapproche de la doctrine sociale de l'Eglise ? La gratuité apparaît de manière assez récurrente dans le compendium. Et dans des contextes à chaque fois "radicaux".

#184 : L'enseignement de l'Église revient constamment sur le rapport entre charité et justice: « Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne faisons pas pour eux des dons personnels, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Plus qu'accomplir un acte de charité, nous accomplissons un devoir de justice » [...] L'amour pour les pauvres est certainement « incompatible avec l'amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste
#391 :  la personne humaine ne trouve pas sa réalisation complète tant qu'elle ne dépasse pas la logique du besoin pour se projeter dans celle de la gratuité et du don, qui répond plus entièrement à son essence et à sa vocation communautaire.

#24 : le magistère nous rappelle que dans la tradition de l'année sabbatique et jubilaire, on remet toutes ses dettes "gratuitement" à celui qui nous doit quelque chose. "Tous les sept ans la mémoire de l'Exode et de l'Alliance est traduite en termes sociaux et juridiques, de façon à rapporter les questions de la propriété, des dettes, des prestations et des biens à leur signification la plus profonde"

Bref, l'exercice de la gratuité :
- est un acte de justice orienté vers notre prochain
- est un acte essentiel à notre vocation d'homme dans la communauté
- nous rappelle le sens de la propriété, des dettes, et que finalement, la propriété n'est compréhensible que dans le rapport à Dieu [destination universelle des biens]

Au Magasin pour rien, on peut prendre gratuitement jusqu’à trois articles par semaine.Côté principes de la DSE, sur une échelle de 0 à 5, au doigt mouillé :  
Bien commun : 3 
Destination Universelle des Biens (DUB) : 5
Solidarité : 4
Participation : 3
Subsidiarité : 1


Et pour le faire, pas besoin d'être chrétien... Même si ça aide peut-être à l'être, et de l'être ! Un bon exercice de lâcher prise, et de prise de conscience que nous ne sommes que "gestionnaires" et pas "propriétaires" des objets.

Un avantage par rapport à l'idée de boîte n°1 : la "preuve de concept" est là puisque le magasin à Mulhouse marche bien et permet de maintenir un emploi !

mardi 15 janvier 2013

A-t-on encore besoin de parents aujourd'hui ?


Je ne suis pas du genre à retourner le couteau dans la plaie et à rabâcher que nous étions entre 800.000 et 1.300.000 dans la rue ce week-end si l'on en croit les chiffrages raisonnables, donc je vous épargnerai toute remarque sarcastique sur l'improbablement difficile appropriation des processus démocratiques que je constate en lisant les news. Nous allons plutôt nous demander si les parents ont encore un rôle aujourd'hui dans la société.

Dans une société de plus en plus complexe, le rôle des parents change. Être suffisamment expert pour former les enfants sur tout ce qui constitue leur vie n'est plus possible : les cours à l'école, l'anglais, l'informatique, le judo, les modes changeantes de jeux de récréatino, la politesse, l'utilisation raisonnée de la télé et d'internet... Plein de parents sont perdus, malgré plein d'organismes et personnes qui les aident : école, société, amis. Il n'y a qu'à voir le succès de Super Nanny, avant que l'émission ne disparaisse avec son animatrice, ou l'existence "d'école des parents" pour voir que le boulot de parent est difficile. 
Au fait, c'est quoi le rôle des parents ?

*  *  *
Promoteurs de la vie, même celle du plus fragile

Enfonçons une porte ouverte. Le premier rôle des parents est de devenir parents. De donner la vie. Et enfonçons une autre porte ouverte, la mission nous est confiée par Dieu. « Soyez féconds, multipliez, emplissez la Terre » (Gen 1, 28). « La famille apparaît, dans le dessein du Créateur, comme […] le berceau de la vie » (#209 du compendium). « L'amour conjugal est, par nature, ouvert à la vie. C'est dans le devoir de procréation que se révèle de façon éminente la dignité de l'être humain, appelé à se faire l'interprète de la bonté et de la fécondité qui descendent de Dieu »(#230) La procréation est signe de l'existence de Dieu, pour les parents, pour la famille, et pour la société. Le couple a un « devoir de révéler Dieu » par cette fécondité.
Au-delà de ce rôle, le magistère souligne le rôle particulier qu'a la famille dans la promotion de la vie, de son commencement à sa fin, même dans ses formes les plus fragiles. En effet « Grâce à l'amour, réalité essentielle pour définir le mariage et la famille, chaque personne, homme et femme, est reconnue, accueillie et respectée dans sa dignité . De l'amour naissent des rapports vécus à l'enseigne de la gratuité qui, en respectant et en cultivant en tous et en chacun le sens de la dignité personnelle comme source unique de valeur, se transforme en accueil chaleureux, rencontre et dialogue, disponibilité généreuse, service désintéressé, profonde solidarité. L'existence de familles qui vivent dans un tel esprit met à nu les carences et les contradictions d'une société guidée principalement […] par des critères d'efficacité et de fonctionnalité » (#221). « L'amour s'exprime aussi à travers une attention prévenante envers les personnes âgées qui vivent dans la famille. […] Si les personnes âgées se trouvent dans une situation de souffrance et de dépendance, elles ont non seulement besoin de soins médicaux et d'une assistance appropriée, mais surtout d'être traitées avec amour » (#222)
« Les familles [doivent s'employer] à obtenir que les lois et les institutions de l'Etat ne lèsent en aucune façon le droit à la vie, de la conception à la mort naturelle, mais le défendent et le soutiennent. » (#231)

Education
Quelques rôles très concrets dans le domaine de l'éducation des enfants relèvent de la responsabilité de la famille, pour le magistère.
On peut citer sans trop développer le rôle de protection des enfants qui va avec le respect de la vie, mais qui implique également une stabilité du lien familial et donc du mariage. On ne protège pas aussi bien son enfant contre toute sortes d'agressions quand on le voit deux jours par semaines (voire plus du tout) que quand on le voit tous les jours. « La solidité du noyau familial est une ressource déterminante pour la qualité de la vie sociale en commun » (#229)
On peut citer également le rôle particulier des parents dans l'éducation sexuelle. « En raison des liens étroits qui relient la dimension sexuelle de la personne aux valeurs éthiques, le rôle de l'éducation est de conduire les enfants à la connaissance et à l'estime des normes morales comme garantie nécessaire et précieuse d'une croissance personnelle responsable dans la sexualité humaine ». Les parents sont tenus de vérifier les modalités par lesquelles s'effectue l'éducation sexuelle dans les institutions éducatives, afin de contrôler qu'un thème aussi important et délicat soit affronté de façon appropriée.
La famille a enfin et surtout le rôle d'ensemblier du maelström éducatif qui conduit à ce que les enfants grandissent. « Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, mais pas les seuls. Il leur revient donc d'exercer avec responsabilité l’œuvre éducative, en collaboration étroite et vigilante avec les organismes civils et ecclésiaux [qui doivent chacun intervenir selon sa compétence et apporter sa contribution propre]. Les parents ont le droit de choisir les instruments de formation correspondant à leurs convictions » (#240). Les outils ne manquent pas : choix de l'école, choix des activités extra-scolaires, choix d'envoyer à l'étude le soir où de le laisser l'enfant travailler tout seul, un certain contrôle sur les amis pour les plus jeunes enfants… En revanche, une vision selon laquelle « c'est la société qui a la charge de l'éducation des enfants » serait constitutive d'une dépossession du rôle de parents, ce qui serait grave et déresponsabilisant. Le rôle des deux parents est central, et nécessaire à une prise en charge de l'enfant « au plus près », c'est-à-dire conforme au principe de subsidiarité.

Valeurs
Enfin la famille est le lieu premier et principal de transmission des valeurs. J'ai évoqué rapidement la solidarité plus haut. Mais plus que ça, les parents ont pour rôle de transmettre des valeurs culturelles, éthiques, sociales, spirituelles, religieuses, nécessaires au bon développement de la société. Ce que personne ne fera aussi bien que des parents. On n'apprend pas à la crèche à aimer son petit camarade. On n'apprend pas toujours à l'école à se forger des convictions éthiques sur la fin ou le début de vie, et si c'est le cas, c'est bien aux parents de choisir avec la plus grande précaution les écoles en fonction du message. « Les parents ont le droit-devoir de donner une éducation religieuse et une formation morale à leurs enfants : droit qui ne peut être effacé par l'Etat, mais respecté et encouragé ; devoir primordial, que la famille ne peut ni négliger ni déléguer » (#239)
Et pourquoi la famille est-elle plus compétente que d'autres pour ça ? Parce que c'est l'amour des parents l'un pour l'autre qui a engendré l'enfant et que ça laisse des traces ! « De source qu'il était, l'amour des parents devient ainsi l'âme et donc la norme qui inspirent et guident toute l'action éducative concrète, en l'enrichissant des valeurs de douceur, de constance, de bonté, de service, de désintéressement, d'esprit de sacrifice, qui sont les fruits les plus précieux de l'amour ». (#239) Cette constitution d'une action éducative « intégrale » n'est donc pas délégable.

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Bref, oui, on a encore besoin de parents, et ce n'est pas juste dans l'attente que la société sache gérer toute seule sans l'aide des parents. C'est que vu la situation particulière des parents, dont l'amour est à la base de la famille, elle ne peut pas et ne doit pas gérer à leur place et doit simplement leur donner les outils pour qu'ils puissent construire un chemin éducatif pour leurs enfants.


mercredi 19 septembre 2012

Pour ou contre l'adoption par les couples homosexuels ?


Et voilà, c'est fait. J'ai écrit à ma députée... Pour vous, mes chers lecteurs, j'ai rajouté des numéros de paragraphes du compendium, et en fin d'article les phrases correspondant au fond de ce que j'écris... Preuve que le compendium peut assez largement faire l'objet de discussions poussées y compris avec des non-croyants. 


Bonne lecture, et n'hésitez pas à écrire à vos députés. 
Thomas

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Madame la députée, Monsieur le député

   Aujourd'hui, le débat sur le mariage des homosexuels et l'adoption par les « couples » homosexuels me semblent faire partie des débats majeurs à venir pendant la législature qui commence, puisque, outre les aspects de pure technique juridique, c'est bien face à un choix de société engageant pour de nombreuses années (décennies ?) que nous nous trouvons (#385). L'absence de débat préalable aux décisions déjà plus ou moins annoncées me paraît de nature à favoriser la prise de mauvaises décisions dans la précipitation (#394).

   En effet, là où je peux comprendre que deux hommes, ou deux femmes, puissent éprouver certains sentiments l'un pour l'autre et puissent souhaiter, à l'instar de couples hétérosexuels, mettre en commun leurs revenus pour vivre une vie commune, et accessoirement bénéficier de divers avantages fiscaux et sociaux (impôts sur le revenu, héritage, etc...) (#135), il m'apparaît en revanche que le sujet de l'accès au mariage et surtout à l'adoption pour les couples homosexuels pose de réelles questions de société qui ne sauraient être balayées du revers de la main par de faux arguments sur l'égalité. La différence de traitement entre couples homosexuels et couples hétérosexuels n'est en effet pas une distorsion du principe d'égalité puisque ce n'est pas l'individu homosexuel qui est écarté du processus d'adoption, mais c'est son mode de vie, choisi par lui, qui l'en écarte. Il serait tout aussi absurde de considérer qu'empêcher un fonctionnaire d'être embauché dans une entreprise qu'il contrôle serait une distorsion d'égalité. Des droits différenciés en fonction de choix de vie librement consentis ne sont pas des signes d'un déni d'égalité, mais d'un choix de société (#158).

   A un autre niveau, rechercher l'égalité homme-femme ne veut pas dire considérer que l'un et l'autre sont interchangeables. Au contraire, ce serait oublier que l'homme a besoin de la femme et la femme de l'homme, et ce serait une injustice portée tant contre la femme que contre l'homme que de penser comme cela. L'Histoire a montré que la femme pâtit souvent plus que l'homme de ces injustices. Comment, en effet, assurer les femmes d'un rôle « d'égal à égal » avec l'homme dans la société si l'homme se juge indépendant de la femme au point de penser pouvoir fonder une famille sans elle ? L'égalité vraie se joue dans la complémentarité, pas dans l'indépendance des sexes. Les clichés sont des clichés, et les hommes ne sont pas tous virils, machos, adeptes de jeux vidéos, de bière et de football pendant que les femmes feraient des courses, se feraient belles, et papoteraient. Mais dans le regard de l'homme, la femme se voit aimée pour ce qu'elle est : autre, mystérieuse peut-être, mais en tout cas nécessaire (#147). Dans ce constat de la différence, réelle, et de la complémentarité se joue la place de la femme ; la place de l'homme aussi (#146). Considérer le mariage homosexuel comme un mariage « comme les autres » présenterait donc selon moi un terreau favorable pour oublier la grandeur de la femme (et de l'homme) sous prétexte de vouloir s'affranchir de la nécessaire différence des sexes. 

   Tout aussi important, l'un des problèmes significatifs que poserait l'adoption par des couples homosexuels me semble être le fait qu'il manquerait à l'enfant soit un père, soit une mère. Or il est faux de penser qu'il n'y a pas de différence entre un père et une mère et que « la seule chose qui compte, c'est l'amour ». L'amour est nécessaire au développement d'un enfant, mais ce n'est pas rendre justice à l'importance de l'altérité homme/femme dans l'éducation d'un enfant que de penser que l'amour suffit. Ce n'est pas non plus tomber dans un raccourci grossier que de constater que les femmes ont une inclinaison naturelle à développer une tendresse toute proche avec leur nourisson, une attention au bien-être de leur enfant, mais aussi ce qu'on appelle dans toutes les cultures un certain instinct maternel. Et qu'à l'inverse, l'homme joue souvent le rôle de « rappel à la loi et au monde extérieur » pour tirer l'enfant de la fusion avec sa mère et le présenter au monde (#242). Bien évidemment, tous les couples hétérosexuels n'ont pas cette répartition des rôles aussi clairement définie et parfois il manque aux enfants un référent « rappel à la loi » ou au contraire un référent qui éduque à la tendresse. Et bien évidemment, certains couples homosexuels pourraient au contraire avoir des rôles complémentaires de ce type. Mais la reconnaissance de l'adoption par les couples homosexuels rendra les cas extrêmes « normaux ». Des enfants peuvent déjà se trouver dans cette situation « par accident de la vie » de n'avoir qu'un parent (décès d'un parent, divorce,...), voire deux « référents » de même sexe (divorce suivi d'une union homosexuelle). Mais instituer l'adoption par les couples homosexuels rendrait cette situation non plus « accidentelle », mais prévisible et certaine. On ne peut donc que s'y opposer, dans l'intérêt de l'enfant. 

   Accorder le droit d'adoption aux homosexuels présenterait donc le double problème de rendre plus difficile la transmission de cette vision de l'altérité des sexes aux enfants, mais aussi, pour la société, celui de la négation du besoin de faire face à la différence pour donner sa place à l'autre sexe. Le premier lieu de développement de ce problème serait de surcroît l'activité la plus fragile que nous avons à mettre en œuvre au sein de la cellule familiale avant tout autre endroit : l'éducation des enfants.

   Pour finir, le mariage ayant pour but d'instaurer les conditions favorables à la fondation d'une famille pérenne, il apparaît peu adapté de chercher à rendre possible un « mariage » entre deux personnes de même sexe. Pourquoi ne pas doter le PACS des avantages fiscaux du mariage (hérédité, fiscalité du couple …), au lieu d'introduire la possibilité de mariage pour des couples homosexuels, dénaturant ainsi la profondeur du mariage tel qu'actuellement vécu par tant de couples ? (#228)

   Ces sujets de société me paraissent devoir dépasser le cadre d'un débat de l'ampleur relativement faible qu'il a aujourd'hui. Je souhaiterais connaître votre position sur la possibilité de demander au gouvernement que le peuple français soit consulté par référendum sur le sujet du mariage, et de l'adoption, en espérant que cette position soit favorable à un élargissement du débat et de la consultation sur ce sujet que je qualifierais volontiers d'historique. (#189)

   Vous remerciant pour le temps que vous avez bien voulu accorder à la lecture de ce courrier, je vous prie de recevoir mes salutations les plus sincères


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#385 : [la communauté politique] est et doit être en réalité, l'unité organique et organisatrice d'un vrai peuple
#394 : L'autorité politique doit garantir la vie ordonnée et droite de la communauté, sans se substituer à la libre activité des individus et des groupes, mais en la disciplinant et en l'orientant, dans le respect et la tutelle de l'indépendance des sujets individuels et sociaux, vers la réalisation du bien commun.
#135 : La dignité de l'homme exige donc de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure.
#158 : une affirmation excessive de l'égalité « peut donner lieu à un individualisme où chacun revendique ses droits, sans se vouloir responsable du bien commun »
#147 : « La femme est une “aide” pour l'homme comme l'homme est une “aide” pour la femme! »: 290 dans leur rencontre se réalise une conception unitaire de la personne humaine, basée non pas sur la logique de l'égocentrisme et de l'autoaffirmation, mais sur celle de l'amour et de la solidarité.
#146 : Le « masculin » et le « féminin » différencient deux individus d'égale dignité, qui ne reflètent cependant pas une égalité statique, car la spécificité féminine est différente de la spécificité masculine et cette diversité dans l'égalité est enrichissante et indispensable pour une vie sociale harmonieuse: « Si l'on veut assurer aux femmes la place à laquelle elles ont droit dans l'Église et dans la société, une condition s'impose: l'étude sérieuse et approfondie des fondements anthropologiques de la condition masculine et féminine, visant à préciser l'identité personnelle propre de la femme dans sa relation de diversité et de complémentarité réciproque avec l'homme, et cela, non seulement pour ce qui regarde les rôles à jouer et les fonctions à assurer, mais aussi et plus profondément pour ce qui regarde la structure de la personne et sa signification ».
#242 : Dans l'éducation des enfants, le rôle maternel et le rôle paternel sont tout aussi nécessaires.552 Les parents doivent donc œuvrer conjointement. Ils exerceront l'autorité avec respect et délicatesse, mais aussi avec fermeté et vigueur: elle doit être crédible, cohérente, sage et toujours orientée vers le bien intégral des enfants.
#228 : « Si, du point de vue juridique, le mariage entre deux personnes de sexe différent était considéré seulement comme une des formes de mariage possible, l'idée de mariage subirait un changement radical, et ce, au détriment grave du bien commun. En mettant sur un plan analogue l'union homosexuelle, le mariage ou la famille, l'État agit arbitrairement et entre en contradiction avec ses propres devoirs »
#189 : La conséquence de la subsidiarité est la participation, qui s'exprime, essentiellement, en une série d'activités à travers lesquelles le citoyen contribue à la vie culturelle, économique, sociale et politique de la communauté civile à laquelle il appartient. La participation est un devoir que tous doivent consciemment exercer, d'une manière responsable et en vue du bien commun. [...] En outre, une forte tension morale est nécessaire pour que la gestion de la vie publique soit le fruit de la coresponsabilité de chacun vis-à-vis du bien commun.